Invité de la matinale de France Culture, Benoît Hamon remarquait le 5 avril dernier que certains sujets étaient « très présents » dans la campagne présidentielle, et d’autres « très très absents ». Et le candidat du parti socialiste de citer l’écologie et la culture. « La culture, on n’en a pas parlé une seule fois, sauf à l’initiative des candidats eux-mêmes », regrettait M. Hamon. De fait, c’est bien à l’initiative de Jacques Cheminade que la culture s’était conviée la veille au soir au terme du débat télévisé qui opposait les onze candidats sur BFMTV et C News : « On n’a pas parlé de culture », relevait ainsi le « petit » candidat, avant d’appeler dans sa conclusion à rétablir « l’estime de soi » par « une grande politique culturelle » qui doit « redonner l’art et la science au peuple », soit quelques secondes sur la culture dans un débat politique de près de quatre heures… La culture n’aura donc pas été un enjeu électoral, au même titre, d’ailleurs, que le sport, le handicap ou le grand âge. Et pourtant, relève Le Journal des Arts dans l’« essai comparatif » qu’il consacre en avril à leur programme, « presque tous les candidats placent la culture en tête de leurs priorités ». « Mais, analyse le journal dans sa nouvelle formule, cette profession de foi ne résiste pas aux autres priorités, comme en témoigne le premier débat organisé par TF1 le 20 mars dernier, où la culture n’a pas été évoquée une seule fois en trois heures. »
Il est de bon ton de reprocher aux politiques leur manque d’intérêt (souvent réel) pour la chose culturelle, mais il faut avoir l’honnêteté de dire que le système médiatique les sollicite peu sur le sujet, en dehors des polémiques opportunistes – ah, Macron et « la culture française » ! C’est bien dommage, car, à défaut d’être un « enjeu » de société, comme la lutte contre le terrorisme ou le futur de l’Europe, la culture reste bel et bien en 2017 un « projet » fondamental de société. Ainsi, dans un plaidoyer paru en janvier [Le Grand Gâchis culturel, Albin Michel, 15 €], le député-maire de Versailles François de Mazières prétend-il que « la réponse à une bonne partie de nos problèmes actuels – y compris économiques et sociaux – est à chercher du côté de la culture », et en appelle aux élus à faire de la « résistance » face à l’« absence de vision [qu’il] déplore ». La culture en France représente en dépenses annuelles « un total minimum de 21,6 milliards d’euros », écrit Le Journal des Arts, qui additionne les dépenses de l’État avec celles des collectivités territoriales. Une dépense ? Plutôt un « projet » d’investissement. À condition, bien sûr, d’y accoler une vision, laquelle a cruellement manqué à l’ensemble des candidats à l’élection suprême, comme au système en général…
« La culture, c’est joli dans les programmes. Mais c’est comme les œufs d’Abraham : une fois élus, ils s’assoient tous dessus. » Guillaume Meurice n’y va pas avec le dos de la mouillette lorsqu’il consacre, le 6 avril dernier sur France Inter, sa chronique à la performance d’Abraham Poincheval (Œuf), qui, en avril, a couvé des œufs au Palais de Tokyo pendant une durée « indicative » de 21 à 26 jours – rappelons que l’artiste s’était précédemment enfermé durant sept jours dans une pierre creusée selon sa silhouette (Pierre). La chronique est drôle, très drôle même, lorsque l’humoriste se demande si la campagne de François Fillon ne serait finalement pas, elle aussi, un « happening sur le thème de l’indécence », ou quand il s’interroge sur le nombre d’artistes contemporains présents l’été dans les campings de Palavas-les-Flots. Sans doute la performance de Poincheval incarne-t-elle ce que Marine Le Pen rejetait récemment, lors de sa visite au Château-Couvert à Jaunay-Clan, autrement dit l’« art contemporain ». Il est vrai que couver des œufs relève autant du burlesque que de l’absurde, deux dimensions assumées par l’artiste. Abraham Poincheval n’a d’ailleurs pas attendu d’être médiatisé pour cela, comme lorsqu’il traversait, avec Laurent Tixador, la France d’ouest en est en ligne droite en enjambant maisons, routes et cours d’eau. Mais par quel moustique l’artiste a-t-il été piqué ? Par celui de l’art, ultime espace de liberté, où l’action peut être gratuite et désintéressée, tout en étant engagée. Car, plus que de couvaison, il était question, au Palais de Tokyo, du genre animal et humain, de la place du père, du devenir de l’animal, de l’enfant…, autant de sujets absents des présidentielles. « Nous pensons que l’œuvre d’art serait à la fois laboratoire et fête des possibles : espace de recherche, d’exploration, d’invention mais aussi de célébration », écrivent des étudiants de Sciences Po dans La Culture contre la violence [Arfuyen, 12 €], ouvrage dans lequel ils livrent leur vision de la culture à « la veille d’échéances électorales majeures ». « La création artistique, ajoutent-ils, correspondrait peut-être au dernier espace d’utopie aujourd’hui, là où le discours politique peine à interpeller, et échoue à faire rêver. » Quitte à faire rire.
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Rase campagne
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°701 du 1 mai 2017, avec le titre suivant : Rase campagne