Société

Pour un renouveau franco-italien

Par Jacques Attali · Le Journal des Arts

Le 13 février 2019 - 595 mots

PARIS

Les invectives lancées par le gouvernement italien contre la France et les représailles françaises sont l’occasion de nous souvenir de ce que la France doit à l’Italie, de ce que l’Italie doit à la France et de ce que le monde doit à leur rencontre.

Sans faire ici la liste interminable des artistes d’un pays ayant travaillé dans l’autre, ni des chefs-d’œuvre universels qui ont résulté de ces rencontres, il serait temps de redonner du sens à ce dialogue plurimillénaire.

D’abord, il faut se rappeler que c’est dans ce dialogue que sont nés un très grand nombre de concepts et de pratiques qui fondent aujourd’hui non seulement nos propres pratiques et valeurs mais aussi celles du monde.

Le dialogue des artistes et des intellectuels de ces deux pays a en effet créé les conditions de la naissance de la Renaissance artistique, intellectuelle et politique du XVe siècle dont nous sommes très largement les héritiers et qui nourrit encore notre conception de l’art. On doit aussi à ce dialogue une part importante de ce que sont les Lumières, les droits de l’homme, qui constituent une part importante du trésor commun de l’humanité. Et tant d’autres découvertes majeures qui fondent la modernité, et dont s’inspirent les Américains comme les Chinois aujourd’hui.

Malgré tout cela, on ne sent pas à l’heure actuelle la même ferveur commune dans l’invention du monde de demain. La France et l’Italie doivent retrouver le chemin de projets communs. Et il est bien des sujets où cela serait possible. Pour me faire comprendre, je ne prendrai qu’un seul exemple, souvent considéré comme accessoire, matériel et trivial, mais qui ne l’est pas : la nourriture.

En matière de gastronomie, d’art de bien manger, les Français et les Italiens ont beaucoup dialogué (sait-on par exemple que la France est, après les États-Unis, le deuxième consommateur dans le monde des 30 milliards de choses qu’on appelle des « pizzas » ?). Ils ont inventé, séparément et ensemble, une large partie de la gastronomie universelle. Les Italiens ont inventé le mouvement « slow food » ; les Français ont inventé la « nouvelle cuisine ».

Ils ont encore beaucoup à se dire et à dire au monde. Ce n’est pas anecdotique. C’est même essentiel, car c’est de l’alimentation, de ce que nous acceptons ou refusons de manger que découlent non seulement l’avenir de nos secteurs majeurs, de l’agriculture au tourisme, mais aussi notre rapport au monde animal, au monde végétal.

J’aurais pu prendre d’autres exemples, tout aussi légitimes et qui mériteraient aussi que l’on travaille ensemble à améliorer le sort des générations futures : l’architecture, le design des objets, l’art des jardins. Tous secteurs que l’on croit anecdotiques au regard des grands enjeux technologiques, et qui ne le sont pas si l’on considère les enjeux de l’avenir de la condition humaine. Tous secteurs dans lesquels Français et Italiens ont déjà tant apporté, séparément et ensemble. Et si on voulait y ajouter un enjeu proprement technologique, alors il en est un qui s’imposerait, puisqu’il découle de ce qui précède, et qu’il aura bientôt plus d’importance que l’intelligence artificielle : le « biomimétisme », qui réfléchit à ce que la nature a à nous apprendre et aux conséquences pratiques innombrables que l’on peut en tirer.

De tout cela les artistes comme les savants français et italiens se sont déjà saisis et ils peuvent plus encore ensemble. À eux de nous ouvrir la voie, une fois de plus.

En se souvenant qu’aucun renouveau artistique ne surgit et ne fleurit mieux que dans une démocratie vibrante, où les artistes sont laissés libres de créer, d’inventer, de se rebeller, de transgresser.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°517 du 15 février 2019, avec le titre suivant : Pour un renouveau franco-italien

Tous les articles dans Opinion

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque