Pomme d’amour

L’art dans l’espace public constitue un vrai défi, car il doit se confronter à un espace qui n’a pas été conçu pour l’accueillir, à la différence du musée, mais il doit aussi résister aux affres du temps et parfois au vandalisme. L’entretien est souvent défaillant, ce qui a ainsi rendu nécessaire en 2008-2009 la campagne de restauration des « Deux plateaux » de Daniel Buren, installée dans la cour du Palais-Royal, à Paris. D’autres œuvres n’ont pas cette chance et il n’est pas rare de découvrir des pièces à l’état de ruine qui posent des questions sur le respect de l’artiste et le véritable engagement du commanditaire. C’est un autre type d’agression dont a été la cible la statue de Charles Fourier (1772-1837), œuvre que le sculpteur Jean-Emile Derré (1967-1938) réalisa pour le boulevard de Clichy, à Paris, dans les toutes dernières années du XIXe siècle. Victime collatérale de la Seconde Guerre mondiale, la statue fut fondue en 1942 pour les besoins de l’industrie d’armement allemande. Depuis, ne se dressait plus sur le terre-plein que le socle en pierre, moignon indécent et obscène. Après de multiples péripéties vient enfin d’être inauguré un nouvel hommage au philosophe français, inventeur de l’École sociétaire, un hommage en forme de pomme ! Fourier développa en effet l’une de ses théories à partir du prix de la pomme qu’il venait de croquer dans un restaurant. Pour Franck Scurti, auteur de cette nouvelle œuvre, ce fruit constitue la « quatrième pomme » de l’histoire d’un point de vue symbolique, après celle que tendit Ève à Adam, « la pomme de la Discorde » offerte par Pâris, et la pomme de Newton, qui permit au scientifique de mettre au point la loi de la gravitation universelle. Fourier souhaitait une société plus juste, plus égalitaire, qui donnerait toute leur place aux femmes, un monde où chacun pourrait s’épanouir. En somme, la quatrième pomme de Scurti est aussi une pomme d’amour !