L’abstention record lors des élections municipales présage le pire pour les européennes. L’Europe est ressentie comme une construction bureaucratique trop éloignée des préoccupations des citoyens et d’un idéal malmené par les débats sur l’identité et la nation.
Pourtant l’horizon européen devrait être perçu aujourd’hui comme très proche, car des enjeux, comme celui du pluralisme culturel, se jouent à l’échelle du monde et l’Europe, si elle agissait comme un continent, pourrait l’encourager, ce que la seule action franco-française ne peut plus.
L’offensive de Netflix illustre cet enjeu. Voilà le géant américain de la distribution sur Internet de VOD (video on demand, 44 millions d’abonnés revendiqués) qui veut attaquer le marché français, mais en établissant son siège au Luxembourg. Une localisation qui lui permettrait d’obtenir une TVA plus favorable (seize points de moins) et de s’affranchir des contraintes françaises imposant aux distributeurs de financer en partie la création par une taxe sur leur chiffre d’affaires, ainsi qu’une « chronologie des médias », un film ne pouvant être disponible en vidéo que 36 mois après sa sortie, contre moins d’un an aux États-Unis. Créée en 1997, Netflix s’est imposé par l’efficacité de son service vendu à un prix attractif : moins de six euros par mois. De distributeur, il est devenu producteur, avec en particulier la fameuse série House of cards. Son arrivée va bouleverser un écosystème – distribution/création – fragile. Il serait naïf de croire que les oligopoles vont s’autoréguler : « un opérateur global va naturellement où la situation est la plus compétitive », reconnaissait Carlo d’Asaro Biondo, président de Google Europe du Sud et de l’Est, Moyen Orient et Afrique, lors du Forum de Chaillot (1). L’essor d’Internet a provoqué un séisme dans le secteur musical, celui du livre, en revanche, a mieux résisté grâce à une régulation, la loi sur le prix unique qui a permis de maintenir vaille que vaille un réseau de librairies et donc une diversité dans la distribution. À partir de 2015 et progressivement jusqu’en 2018, la TVA devrait être perçue selon le taux du pays consommateur, pour le reste les règles de régulation sont à imaginer. La prochaine Commission européenne – dont le président sortira des urnes – devra s’y atteler, comme aussi défendre le droit d’auteur qui est à nouveau malmené. Les biens culturels n’étant pas des marchandises comme les autres, Aurélie Filippetti s’est battue pour que la culture soit exclue des négociations commerciales entre les États-Unis et l’Europe. Et les artistes ne sont pas seulement des « acteurs de retombées commerciales, mais des prophètes, des veilleurs insolents qui réenchantent le monde par l’imaginaire », comme le rappelait Macha Makeïeff à Chaillot. Les conséquences de l’offensive de Netflix ne peuvent être transposées directement au domaine des arts plastiques. Néanmoins, les opérateurs du marché de l’art dénoncent régulièrement les distorsions fiscales ou réglementaires (2) et il est raisonnable de penser que les ventes sur Internet d’œuvres d’art vont connaître un essor. Là aussi, il est important que ne se constitue pas un oligopole qui contrôlerait la diffusion, la liberté de choix de l’amateur et donc à terme la création.
(1) Forum de Chaillot, avenir de la Culture, avenir de l’Europe, à l’initiative d’Aurélie Filippetti, les 4 et 5 avril.
(2) Lire le dossier du JdA n° 411 .
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Nettement européen ?
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°412 du 25 avril 2014, avec le titre suivant : Nettement européen ?