Michel Liénard (1810-1870) fait partie de ces artistes dont le nom a été recouvert d’un voile d’obscurité, mais dont l’empreinte reste pourtant bien présente dans l’environnement contemporain. Malgré la publication de plusieurs recueils d’ornement et un atelier très fécond, l’ampleur du travail de ce sculpteur et ornemaniste a été rapidement oublié, un oubli favorisé par l’image négative dont ont longtemps souffert les arts décoratifs du XIXe siècle.
La recomposition de sa carrière laisse pourtant voir un acteur majeur du domaine à un moment clé de son évolution. Liénard appartient à un mouvement qui accompagne les progrès et les nostalgies du XIXe siècle, entre artisanat de luxe et production industrielle, entre styles historiques et inspiration naturaliste qui mènera à l’Art nouveau. D’un caractère discret, Liénard est l’une des pierres angulaires d’une société de l’ornement encore mal connue, composée de sculpteurs, d’architectes, de maîtres d’industrie par lesquels l’ornement devient omniprésent. Contrairement à des artistes similaires comme les frères Fannière ou Aimé Chenavard, Liénard ne vient pas du milieu artisan et commence par suivre l’enseignement de l’École gratuite de dessin, future École des arts décoratifs. Il entre ensuite en apprentissage chez le dernier sculpteur des Bâtiments du Roi, Jean-Baptiste Plantar, qui en fera son bras droit. Quand Liénard s’installe à son compte en 1838, il commence une carrière de sculpteur – ornemaniste riche et foisonnante qui se déploiera sous la monarchie de Juillet et le second Empire, jusqu’à la fin des années 1860. Doté d’amitiés solides et d’appuis qui reconnaissent son talent, il étend son activité sur un nombre impressionnant de domaines : architecture, orfèvrerie, ébénisterie, armurerie, arts du livre, orgues, etc. Explorateur des styles historiques, Liénard cultive une patte personnelle dont les inspirations s’étendent du gothique flamboyant au premier XVIIe siècle, mais qui ne refuse pas les incursions dans le rocaille ou le néoclassique. Reconnu spécialiste du néoRenaissance, il commence sa carrière par la restauration du château de Blois par Félix Duban (1845-1849) et la termine dans les années 1860 avec la construction du château des ducs de Mouchy, situé non loin de Compiègne. Mais Liénard donne également à l’art néo-gothique l’une de ses réalisations les plus fourmillantes avec la décoration de la chapelle royale de Dreux, destinée par Louis-Philippe à devenir la sépulture de la nouvelle dynastie des Orléans. Dans les années 1850, le palais du quai d’Orsay, un des exemples subsistant du style officiel du second Empire, lui doit une grande partie de son décor intérieur, tandis que ses meubles et ses bronzes sont issus de la collaboration de Liénard avec le bronzier Paillard et la maison de meubles Jeanselme. Liénard travaille l’ornement à toutes les échelles et il collabore dès le début de sa carrière avec des fabriques d’ébénisterie, comme les maisons Grohé ou Ringuet-Leprince, pour des meubles de belle facture, voire exceptionnels à destination de clients princiers ou royaux. Pendant plus de quinze ans, il participe à la création du style de l’orfèvre romantique François-Désiré Froment Meurice, qui lui rend hommage lors de l’exposition des Produits de l’industrie française de 1849. Le crayon et le ciseau de Liénard produisent aussi bien de précieuses reliures sculptées de bois et de velours avec la maison Gruel-Engelmann que des buffets pour les orgues d’Aristide Cavaillé Coll, ou bien des fontaines monumentales en fonte industrielle avec les fonderies du Val d’Osne.
Partie prenante de l’artisanat de luxe parisien qui lui doit quelques-unes de ses plus belles réalisations, l’ornemaniste s’implique également dans le mouvement de reconnaissance des « Beaux-arts appliqués à l’industrie » qui aboutira à la fondation du musée et de la bibliothèque des Arts décoratifs.
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Michel Liénard, luxuriance et modestie de l’ornement au XIXe siècle
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°424 du 28 novembre 2014, avec le titre suivant : Michel Liénard, luxuriance et modestie de l’ornement au XIXe siècle