L’Œil du cyclone
Ai Weiwei, encore lui ! À peine le plasticien a-t-il récupéré son passeport confisqué en 2011 par les autorités chinoises que cet artiste mégalomane, né à Pékin en 1957, fait de nouveau parler de lui. Publiée en février, la photographie en noir et blanc le montrant gisant sur une plage de l’île de Lesbos, en Grèce, suscite une vague d’indignation. Ai Weiwei y reprend la position du petit Alan Kurdi, cet enfant syrien mort noyé en septembre 2015, et dont l’image a ému le monde entier jusqu’à devenir le symbole du drame des réfugiés en Méditerranée. Michel Onfray en avait déjà fait les frais, qui rappelait pourtant une vérité simple : une photographie n’est pas la réalité, mais une intention légendée qui est, à ce titre, manipulable et manipulatrice. Mais toute vérité n’est pas bonne à dire… À Ai Weiwei, on reproche, comme à Onfray, de manquer d’empathie et de récupérer un drame humain pour servir sa propre image, sa propre cause, comme si l’artiste en avait encore besoin. Il est vrai qu’à multiplier les actions comme Martine collectionne les aventures, le dissident chinois prend le risque de n’être plus distinctement audible : après « Ai Weiwei contre le gouvernement chinois », retrouvez donc « Ai Weiwei expose au Bon Marché », « Ai Weiwei annule ses expositions au Danemark pour protester contre la loi de confiscation des biens des migrants » et, maintenant, « Ai Weiwei dans la peau du petit Alan ». Avec tout ce que cela suppose de grand écart : passer de la défense de la liberté d’expression en Chine à l’indignation contre le sort des migrants, et à l’acceptation d’une commande pour le temple du luxe parisien. Et tant pis si toutes ces interventions sont cohérentes les unes avec les autres – au Bon Marché, l’artiste a truffé ses sculptures de caméras de surveillance, de menottes et de références à son passeport – et servent de nobles causes. Mégalomanie ? Peut-être. En tout cas, l’arrestation de l’artiste par la police secrète chinoise en 2011, pour incitation à la subversion de l’autorité de l’État, a révélé le pouvoir qu’ont désormais acquis certains artistes internationaux. Ce pouvoir avait déjà protégé Picasso durant la Seconde Guerre mondiale, mais il est aujourd’hui décuplé par les réseaux sociaux qui ont fait la notoriété d’Ai Weiwei. Ainsi peut-on penser que la mobilisation autour du sort d’Ashraf Fayad, condamné à mort par l’Arabie Saoudite, a permis de transformer sa peine en coups de fouet et en prison, et de sauver le poète palestinien. Dans un livre à paraître le 2 mars, Ai Weiwei, Histoire d’une arrestation (Éditions Globe, 256 p., 22 €], l’artiste raconte au journaliste Barnaby Martin que, vingt ans en arrière, il aurait été assassiné, alors que ses geôliers se sont plutôt préoccupés de sa santé : « J’avais l’impression d’être un vase Ming, rapporte l’ancien détenu. Ils craignaient tous qu’il m’arrive quelque chose. » Et pour cause : les dignitaires chinois « ne s’attendaient pas à ce que [son] arrestation leur pose tant de problèmes. Ils n’avaient même peut-être jamais imaginé qu’une seule personne puisse leur créer tant d’ennuis ! »
Le Premier ministre de l’époque, Wen Jiabao, aurait même craint que les manifestations de soutien à Weiwei organisées dans les capitales du monde ne fissent capoter ses visites diplomatiques. Et pourtant, s’étonne dans le livre Ai Weiwei : « Moi, je leur fais perdre la face ? Je ne suis qu’un artiste ! » Qu’un artiste, oui, comme le furent en leur temps le Géricault du Radeau de la Méduse, le Manet de L’Exécution de Maximilien et le Picasso de Guernica. Mais un artiste important dans le grand réseau cyclonique du XXIe siècle.
L’Œil et l’esprit
Comment regarde-t-on une œuvre d’art plastique ? Et comment la juge-t-on ? Avec nos yeux bien sûr, mais aussi et surtout, disent les neuroscientifiques, parmi lesquels le spécialiste Jean-Pierre Changeux, avec notre cerveau. Le cerveau, cet organe chimico-électrique d’une sublime complexité, composé de centaines de milliards de neurones spécialisés interconnectés. La science sait aujourd’hui que, lorsque l’œuvre d’art pénètre la rétine et ses récepteurs visuels, des signaux sont envoyés au cerveau où l’image se propage sous la forme d’une image neuronale, qui doit être ensuite interprétée par la raison et les émotions, selon des canons culturels : la nouveauté, la composition, les couleurs… Car, si la perception d’une œuvre ressort d’une disposition innée, elle reste étroitement liée au monde extérieur. Le cerveau s’est certes développé au cours de l’évolution de l’homme, mais il s’est aussi enrichi, notamment par la mémoire, des créations de l’homme, pour former l’œil et l’histoire de l’art. C’est à travers eux que notre enquête nous emmène ce mois-ci, afin de tenter de comprendre le miracle de l’art.
Non pas le percer, mais bien le comprendre, car, en dépit de l’avancée des connaissances, le mystère de l’œil reste entier.
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°688 du 1 mars 2016, avec le titre suivant : L’Œil du cyclone