Faut-il promouvoir un « recentrement », privilégier la création artistique de proximité ? Bien évidemment non.
Le « circuit court » qui vaut pour la chaîne alimentaire ne peut être transposé, au nom de la pandémie ou de l’écologie, à la pratique artistique, qui se nourrit de la connaissance du lointain, de l’échange au-delà des frontières. Quant au public, sa vision de l’art serait singulièrement rétrécie si elle devait se borner au local.
Ce serait un retour au monde de bien avant où les institutions françaises défendaient les seuls artistes français et vantaient ceux qui étaient censés caractériser une expression française. Le monde a énormément changé. Aujourd’hui, par exemple, des écrivains francophones considérés comme marginaux font autant, si ce n’est davantage, vivre la langue française que des Français dits « de souche ». L’écrivain franco-congolais, Alain Mabanckou, le montre ; son œuvre et ses prises de position méritent réflexion. Il plaide pour une reconnaissance des voix qui portent au-delà de l’Hexagone, celles qui s’expriment en français, mais hors de la métropole et qui ne se préoccupent pas que de sujets franco-français.
Né en 1966 en République du Congo, Alain Mabanckou est venu à Nantes poursuivre des études de droit, mais sa vocation était la poésie et la littérature. Depuis, il a publié sept recueils de poésie et douze romans, certains traduits dans une quinzaine de langues et finalistes ou couronnés par des prix internationaux. La langue, le français, est toujours vivante, finement ciselée, riche de mots abandonnés ou d’expressions réinventées, l’écriture palpitante sert le réel, l’imaginaire et l’humour. Ses essais doivent être également lus, comme Le Sanglot de l’homme noir (Fayard, 2012) où il fustige « les gardiens auto-proclamés de l’authenticité africaine » qui « nous vendent une vision caricaturale de l’Afrique […] alors qu’elle est multiple, complexe, en pleine mutation ». Lire également celui au titre magnifique : Le Monde est mon langage (Grasset, 2016), ce monde « qu’il a découvert par le biais de la langue française, grâce à ceux qui la magnifient, quels que soient leurs origines, leur patrie, leur accent ou leur accoutrement ». En 2016, il a été le premier titulaire de la chaire de création artistique du Collège de France.
D’abord écrivain en résidence au Michigan, Alain Mabanckou, enseigne, en français, la littérature francophone à UCLA, la célèbre université de Los Angeles depuis 2006. Il vient de faire paraître Rumeurs d’Amérique (Plon), sorte d’autobiographie américaine, nourrie par son deuxième pays d’adoption. Depuis la Californie, Alain Mabanckou nous rassure : il y a, en Amérique, des gens qui se battent pour elle. Les écrivains africains d’expression française, qu’on connaît peu en France, sont plus traduits aux États-Unis que des écrivains français au sens strict. Pour lui, la vitalité d’une langue, son extension dans le monde passe par ceux qu’on considère comme des marginaux, les écrivains francophones. La littérature française est nationale ; celle d’expression française traverse cinq continents, elle a un potentiel planétaire.
Pourtant, en 2018, Alain Mabanckou a refusé l’offre du président Macron de rejoindre un groupe de travail sur la francophonie institutionnelle. Celle-ci reste « encore perçue comme la continuation de la politique étrangère de la France dans ses anciennes colonies », « elle n’a jamais pointé du doigt en Afrique les régimes autocratiques, les élections truquées, le manque de liberté d’expression », lui a-t-il écrit. Les artistes ne doivent pas non plus éluder les questions politiques.
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Les marginaux de la langue française
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°552 du 2 octobre 2020, avec le titre suivant : Les marginaux de la langue française