Intelligence artificielle (IA)

Les émotions artificielles

Par Jacques Attali · Le Journal des Arts

Le 20 septembre 2018 - 536 mots

PARIS

On sait maintenant de façon certaine qu’un spectateur, aussi expert soit-il, peut prendre une œuvre créée par un algorithme pour l’œuvre d’un artiste, et réciproquement.

On sait aussi que les algorithmes ont clairement un potentiel artistique original. C’est-à-dire qu’ils peuvent créer des œuvres capables de déclencher des émotions.

Cela conduira certains à s’en étonner ; à croire que, pour la première fois, l’art n’est plus l’expression d’un message proprement humain. Et que l’intelligence artificielle, non contente de remplacer l’homme dans des tâches automatisables, lui est devenue artistiquement supérieure, avant d’en faire son esclave.

C’est oublier que le message de l’art n’a jamais été simplement humain, qu’il a très souvent obéi à des lois cachées. Oublier que la nature fourmille d’œuvres d’art stupéfiantes, très souvent expressions de formules mathématiques fort complexes, telles les fractales. Oublier, encore, que la plupart des créations de la raison pure, des concepts, sont des œuvres d’art.

En particulier, pour moi qui aie eu le privilège de fréquenter un temps les mathématiques, je peux témoigner que peu d’œuvres d’art sont aussi émouvantes, éblouissantes, jubilatoires, qu’une démonstration pure, une figure géométrique parfaite ; ou même plus bouleversantes que la simple observation des propriétés stupéfiantes de certains nombres, qu’ils soient premiers, transcendants ou imaginaires.

Les grands géomètres le savent, depuis Babylone et Thèbes. Aristote a écrit des milliers de pages là-dessus ; et Leonardo da Vinci, qui fut autant ingénieur qu’artiste, n’a jamais cessé de chercher à percer le secret de la beauté miraculeuse des nombres et de leurs agencements.
 

La science en art

Il ne faut donc pas s’étonner si l’art s’est toujours nourri de la science. Après la peinture, l’architecture, la sculpture (qui ne seraient rien sans l’arithmétique), vint la photographie, le cinéma, les jeux vidéo. Puis d’autres expressions plus ou moins heureuses de l’usage de la science en art, comme l’art optique, l’art numérique ou l’art fractal (si intéressant et trop négligé) ; et aussi tant d’autres tentatives en musique, dont l’Ircam est, en France, le héraut.

Aujourd’hui l’intelligence artificielle continue à creuser ce même sillon et ouvre à de nouvelles perspectives, en particulier en art graphique, comme en musique, et dans la rencontre entre les deux.

Rien de nouveau sous le soleil ; juste une occasion de plus de s’émerveiller devant le mystère de la rencontre entre la raison, les concepts, la nature et les émotions.

Cela nous promet de belles œuvres d’art, de belles occasions d’admirer et de nous émouvoir.

Et c’est justement là que se trouvera peut-être le vrai nouveau, le vrai terrain de découvertes à venir : non pas dans une nouvelle forme de créativité par un artefact, comme il en existe tant depuis toujours ; mais dans la puissance de calcul que nous promet l’intelligence artificielle, et qui devrait permettre un jour d’aller beaucoup plus loin dans la compréhension de la nature des émotions et de leurs relations avec la raison, avec le sens et avec la beauté.

Ainsi aura-t-elle rempli son rôle, qui devrait être de porter l’homme plus loin, de lui permettre de décupler sa communion avec la nature, d’approcher le mystère de la création de la vie, de l’émergence de la conscience et, peut-être même un jour, de la raison d’être de l’univers.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°507 du 21 septembre 2018, avec le titre suivant : Les émotions artificielles

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