Le Festival de Cannes fournit, comme presque chaque année, l’occasion d’une polémique. Cette fois-ci, il ne s’agit pas pour l’instant d’un film, mais de la sélection parmi les films en compétition de deux films, qui ne seront pas, en principe, distribués en salle, mais seulement visibles sur une plateforme – Netflix, qui propose des films sur Internet.
Les puristes hurlent au scandale : la projection en salle, disent-ils, est un élément constitutif de la définition d’un film. Toute histoire racontée en images qui ne passe pas en salle ne saurait être considérée comme un film. Selon eux, le plaisir partagé dans une salle obscure est une des dimensions caractéristiques d’un film.
Comparée à d’autres arts, cette définition ne tient pas : une œuvre musicale est-elle définie par le lieu où on l’écoute ? Un opéra qui ne serait jamais représenté en salle, mais seulement accessible en vidéo ou en audio, ne serait-il plus un opéra ? Une pièce d’Eschyle ou de Marlowe cesserait-elle d’être un chef-d’œuvre si elle n’avait jamais été représentée ? Un tableau de Delacroix cesserait-il d’en être un s’il n’avait jamais été accroché à un mur ? En réalité, ce qui se joue, derrière cette dispute, ce sont deux questions majeures :
1. Dans le cas du cinéma, la diffusion de films sur les plateformes peut-elle nuire à leur diffusion en salle ?
À mon sens, il n’en est rien. Les plateformes ont surtout vocation à financer des œuvres d’un genre nouveau, des séries, qu’on ne peut imaginer de voir dans une salle. Ces œuvres permettent de suivre des personnages dans la durée et s’inscrivent en faux contre l’idée que nous allons vers un monde de la brièveté et de l’éphémère. Cela n’empêchera pas les spectateurs d’aller aussi en salle pour voir des films, que les plateformes peuvent aussi financer. De fait, les formes nouvelles de diffusion, dans d’autres domaines de l’art, n’ont pas tué les précédentes, sauf lorsqu’elles étaient exactement substituables. Ainsi, le mini-K7 a tué le magnétoscope, mais le MP3 et les plateformes musicales n’ont pas tué les concerts, au contraire. Et même les disques vinyle retrouvent une nouvelle vie, portée par leur qualité sonore indépassable. On peut donc penser que des films diffusés sur les plateformes seront aussi diffusés en salle, et y trouveront leurs publics. Parce que les spectateurs cherchent avant tout des occasions d’être ensemble, de partager des émotions, de vivre des événements. Si les diffuseurs savent rester compétitifs.
2. Le mode d’accès à des œuvres d’art est-il un élément consubstantiel de l’œuvre ?
Non, bien sûr, sinon on ne pourrait lire un livre que sur papier, entendre une pièce de théâtre que sur une scène, voir un tableau qu’accroché à un mur. Plus même, les nouveaux modes d’accès font naître de nouvelles formes d’art : comme les plateformes de diffusion ont fait prospérer les séries, que les télévisions avaient fait naître, l’art contemporain, dans sa définition réduite à l’art plastique, invente, lui aussi, sans cesse, de nouvelles façons de se faire connaître, qui créent en retour de nouvelles façons de créer. Cela commença par les répliques des statues, à la fin du XIXe siècle, puis les vidéos et autres formes de performances. Et demain, dira-t-on qu’une œuvre pensée pour être diffusée en impression 3D n’est pas une œuvre d’art ? Qu’un hologramme pensé comme tel ne peut pas être une œuvre d’art ? Dira-t-on même qu’une œuvre ancienne diffusée dans une forme nouvelle n’est plus une œuvre d’art ? Que dira-t-on d’un opéra quand il sera diffusé en hologramme ? Un jour, ces nouvelles techniques de reproduction et de diffusion deviendront des techniques de création : il y aura – il y a déjà –, des œuvres d’art pensées pour être vues sous forme d’hologrammes, ou d’impression 3D ou 4D.
En art contemporain, une œuvre est d’abord une idée. Et telle est bien l’essence du numérique. Il nous ouvre à de passionnantes façons de faire partager des émotions, de nouvelles formes de création. Les anciennes survivront, si elles savent produire encore des œuvres d’art.
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Le septième art, le huitième art
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Abonnez-vous dès 1 €Le Palais des Festivals, Cannes © Photo Timantha102938 - 2009 - Licence CC0 1.0
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°480 du 26 mai 2017, avec le titre suivant : Le septième art, le huitième art