Chaque mois, Élisabeth Couturier présente un objet cher à un artiste. Ce mois-ci...
Fétiche - On se croirait chez un botaniste : dans son atelier baigné de lumière, une ancienne fabrique de cuir au Pré-Saint-Gervais, beaucoup de fleurs coupées sèchent à plat sur de grandes tables ou accrochées à des fils, la tête en bas. Mais il y a aussi des corolles un peu fanées ravivées avec de la cire colorée, ou des pivoines qui ont l’air d’être fraîches alors qu’il n’en est rien. Miracle ou mirage ? Posées sur une étagère, des compositions florales sur fond noir, prises dans de la cire transparente un peu jaunie, renvoient aux fameuses natures mortes hollandaises du XVIIe siècle. Plus loin, contre un mur, figurent plusieurs hautes cages en métal ajouré, inventées par l’artiste. Des séchoirs qui lui permettent de conserver les fragiles têtes de fleurs de pissenlit qu’il fixe selon une technique secrète : « Ce système me permet d’en stocker quinze mille en les protégeant des rongeurs », explique Duy Anh Nhan Duc. Lorsque nous le rencontrons, l’artiste expérimente tous azimuts en vue de sa prochaine exposition à la School Gallery/Olivier Castaing. Pour l’heure, son installation au Domaine de Chaumont-sur-Loire enchante les visiteurs. Son objectif : nous émerveiller, encore et encore : « C’est la première fois que je travaille avec des fleurs. Elles ont des formes très variées et la gamme de couleurs en est extrêmement étendue, contrairement à l’aigrette de pissenlit ou aux herbes que j’utilisais quasi exclusivement jusque-là pour mes tableaux, mes assemblages ou mes installations. Disons que je sors de ma zone de confort ! », confie, un peu inquiet, mais l’œil brillant, le jeune artiste aux cheveux longs et à la silhouette frêle. Et puis, il désigne un grand sac à dos de randonneur rouge et orange, et déclare : « Il m’est indispensable, c’est mon objet fétiche. Je l’ai trouvé chez un brocanteur. Il est à la mesure de mes péripéties et me sert d’atelier ambulant. Car le plaisir de glaner, de passer seul du temps dans la nature, qu’il pleuve ou qu’il vente, constitue ma première source d’inspiration. Et ce sac contient tout ce dont j’ai besoin : des journaux usagés, du papier de soie, une loupe, des petites boîtes, du scotch de botaniste, une paire de gants, un sécateur, des sacs en papier ou sacs poubelle, mais aussi des bouquins sur les plantes médicinales, ou encore l’Atlas des plantes des champs, des prairies et des bois, etc. » Marcheur obstiné, l’artiste choisit des lieux situés à deux heures de son atelier, et fait parfois une halte aux jardins du Luxembourg et des Plantes lors des remplacements des massifs pour récupérer des fleurs destinées au compost. Né en 1983 à Ho Chi Minh-Ville, au Vietnam, Duy Anh Nhan Duc est venu s’installer en France avec sa famille à l’âge de 10 ans. Il garde un souvenir ébloui du jardin luxuriant qui entourait la maison familiale de son pays d’origine. Une image qui a longtemps hanté ses dessins commencés très tôt. Après un CAP de cuisinier qui lui permet de voyager un peu partout dans le monde, il tente d’entrer aux Beaux-Arts de Paris, mais suit finalement un cursus artistique à Berlin : « Au fond, dit-il, je cours toujours après le paradis perdu de mon enfance. Quand je l’ai quitté, j’étais déraciné. Et, en cueillant des plantes et des fleurs, je cherche à prolonger mes souvenirs, mais aussi à magnifier leur beauté à toutes les étapes de leur croissance. » Et d’ajouter, songeur : « Il faut prendre du temps pour observer les plantes. » Tout comme pour voir pousser sa petite fille, qui porte, bien sûr, deux noms de fleurs : Rosa-Thylane, ce qui, en vietnamien, signifie « orchidée sauvage ».
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Le sac à dos de Duy Anh Nhan Duc
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Du 14 septembre au 20 octobre 2018, Olivier Castaing / School Gallery, 322, rue Saint-Martin, Paris 3e.
Jusqu'au 4 novembre 2018. Domaine de Chaumont-sur-Loire (41). Tous les jours, de 10h à 20h.
Tarifs : 6 à 18 €
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°715 du 1 septembre 2018, avec le titre suivant : Le sac à dos de Duy Anh Nhan Duc