Une brèche dans le quatrième mur

Par Olivier Celik · L'ŒIL

Le 21 octobre 2024 - 590 mots

Il est des événements dépassés par leur portée symbolique. « Le jour des peintres », une exposition éphémère de 80 peintres français en activité, le 19 septembre dernier au Musée d’Orsay, est de ceux-ci. 

Il a eu lieu grâce à l’engagement et à la détermination de l’artiste Thomas Lévy-Lasne, qui a su trouver une oreille attentive dans l’une des plus grandes institutions françaises. On ne retiendra pas de l’événement un éblouissement esthétique. Il y avait de tout, du très bon, du bon et du moins bon, et sans doute une sélection moitié moindre aurait-elle été plus judicieuse, artistiquement parlant. Mais là n’était pas le propos. Il fallait arriver en masse, faire un coup de force. On ne retiendra pas non plus ici – même si c’est important au regard de décennies de déconsidération – que l’exposition actait le retour en grâce de la peinture en France, un mouvement déjà bien engagé.

En revanche, l’exposition ainsi conçue montrait une nouvelle attitude et manifestait l’expression d’un besoin pressant, partagé par les artistes comme par le public : celui d’une rencontre. Décorés d’un badge à leur nom et effigie, les artistes ont en effet joué le jeu, présents près de leurs toiles, ouverts à répondre aux sollicitations d’un public (17 000 personnes) à la fois composé de curieux – l’événement a eu une bonne communication – et de visiteurs lambda – des touristes en visite au musée.

L’exposition a eu le mérite d’ouvrir une brèche dans le quatrième mur. De rendre plus poreuse la frontière entre les créateurs et le public. Filons un peu cette métaphore : le quatrième mur, au théâtre, est un mur imaginaire entre la scène et la salle. Théorisé au XVIIIe siècle, et notamment par Denis Diderot, il était cet écran permettant aux acteurs de jouer de manière close, comme si le public assistait à une représentation répondant à l’exigence de la vérité. Dans les arts plastiques, l’œuvre n’est pas la représentation, mais elle la précède. Nul besoin, donc, de dresser des barrières entre le public et les artistes. Dans une ambiance conviviale de foire du dimanche, mais dans un écrin somptueux, « Le jour des peintres » a fait bouger les lignes et réussi le pari du partage. Cela pourrait sembler du simple bon sens, mais des dizaines d’années de pratiques et de codes sociaux communautaristes et excluants ont durablement fermé les canaux d’échanges entre les artistes et leur public le plus large. Et les galeries d’art, qui représentent les artistes, n’ont pas toujours pris la mesure de ce repli sur soi.

Et pourtant, le public français apprécie l’art contemporain, plus qu’on ne serait tenté de le croire. Une étude d’OpinionWay de 2017 précisait notamment que 25 % des Français souhaiteraient acquérir une œuvre d’art contemporain, et que 16 % seraient déjà passés à l’acte. Plus encore, 69 % des acheteurs seraient prêts à renouveler un achat. Les foires constitueraient 41 % des opportunités d’achat, suivies, aujourd’hui, par les ventes en ligne sur des sites spécialisés, puis, en queue de peloton, par les galeries.

Alors, bien entendu, une précision s’impose : le hiatus entre les sommes dépensées par la plupart des gens pour l’acquisition d’une œuvre (entre 450 et 1 000 euros) et les prix pratiqués par les marchands, généralement plus, voire beaucoup plus, élevés, font exister des marchés parallèles qui se rencontrent rarement. Mais une réflexion profonde sur le rapport au grand public est peut-être l’une des clés pour que, petit à petit, une convergence s’opère. Et les moments de partage sincère avec les créateurs sont sans aucun doute le meilleur des atouts.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°780 du 1 novembre 2024, avec le titre suivant : Une brèche dans le quatrième mur

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