Éditorial

Le paradoxe des records

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 23 mai 2019 - 391 mots

VENTES PUBLIQUES. Les dernières grandes ventes de New York ont été marquées par une nouvelle série de records.

Encore des records ? Les maisons de ventes nous ont tellement habitués à annoncer des records d’enchères que l’on y fait de moins en moins attention ou, tout du moins, que l’on perd le sens de la mesure. Record pour un artiste vivant, record pour une femme artiste vivante, record pour un dessin d’une femme artiste vivante… En sous catégorisant à l’infini les œuvres d’art, les auctioneers parviennent toujours à extirper un record. Parfois ils sont obligés de jouer d’astuces pour tenir le rythme, par exemple en comparant des adjudications frais compris avec des estimations hors frais, ou en oubliant l’inflation.

À New York, donc, au moins deux records ont été établis. L’un dans la catégorie « artiste vivant » remporté par Jeff Koons grâce (astuce !) à une augmentation récente des taux de commission de Christie’s, car le prix marteau (sans frais) est le même que pour le précédent record détenu par David Hockney. Koons avait bien besoin de ce coup de projecteur pour rassurer ses collectionneurs, au point que les esprits malveillants suspectent un achat de complaisance. L’autre « plus haut » spectaculaire est dans la catégorie « impressionnisme » avec le maître incontesté des enchères, Claude Monet.

Les deux maisons de ventes se sont naturellement abondamment réjouies – c’est le jeu – de ces scores, tout comme elles avaient auparavant largement publicisé ces vacations.

Curieusement, Sotheby’s a été moins disert sur le grand tableau de William Bouguereau qui n’a pas trouvé preneur, alors que, lui aussi, avait été très promu. Les experts pensaient que la peinture pompier était pleinement sortie du purgatoire dans lequel les modernes l’avaient plongé et que sans atteindre les niveaux de prix d’un Monet, elle aussi pouvait prétendre à un record. Il n’en a rien été et l’ironie de la situation est que ce soit une œuvre pompier contemporaine, en l’occurrence le ­Rabbit de Koons, dont on a souvent dit dans ces colonnes que l’histoire de l’art le considérera comme un pompier, qui constitue le nouvel horizon du marché de l’art contemporain.

Paradoxalement, si pour le public, les records finissent par ne plus vouloir rien dire, si ce n’est que l’économie de l’art est décidément déconnectée de l’économie réelle, ils constituent pour les acteurs du marché une course à l’échalote sans gagnant.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°524 du 24 mai 2019, avec le titre suivant : Le paradoxe des records

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