L’art au défi du divertissement

Par Olivier Celik · L'ŒIL

Le 25 juin 2024 - 582 mots

Le début de l’été risque d’être agité : la vie politique traverse une dangereuse zone de turbulences, la fièvre olympique occupera bientôt le devant de la scène. Mais sitôt les transhumances saisonnières achevées, la torpeur de l’été ne manquera pas de s’installer, d’appesantir nos gestes et de ralentir nos esprits.

Qu’attendons-nous de l’été ? Être en « vacance », au sens étymologique : être libre de son temps, oisif, inoccupé. Et pourtant, la période estivale est particulièrement pléthorique en matière de propositions culturelles. Ce numéro préparé par les équipes de L’Œil– que je me réjouis de rejoindre – en est d’ailleurs une fidèle illustration. Faut-il penser que le lâcher-prise saisonnier, auquel nous aspirons tous, est propice aux nouvelles expériences artistiques ? Et quelles expériences ?

La question mérite d’être posée, car elle renvoie à la manière dont nous percevons nos pratiques culturelles habituelles. Sont-elles des enrichissements de la sensibilité et de la connaissance, ou de simples formes de distraction du quotidien ? En d’autres termes, attendons-nous de la culture qu’elle nous confronte à une exigence intellectuelle ou qu’elle nous promette un loisir mérité ?

Il ne s’agit pas de faire une hiérarchie entre ces deux pôles. Il est même souhaitable que l’expérience artistique comble ces deux aspirations. Mais l’on peut observer, depuis quelques années, que l’art prend parfois des allures de divertissement, ce qui soulève de nouveau enjeux.

Des efforts de médiation – des cartels aux ateliers pour les enfants en passant par les visites guidées, les audioguides et les bornes interactives – sont réalisés depuis longtemps et sont entrés dans les pratiques des musées de toutes tailles. Ils ont permis d’introduire une dimension pédagogique, sinon ludique, à l’appropriation des œuvres.

Mais l’on assiste aujourd’hui à de nouvelles manières d’attirer le public, directement inspirées par les évolutions des industries numériques qui, depuis plus de vingt ans, ont poussé très loin les interactions entre l’homme et les technologies. La fonction utilitaire qui définissait les rapports de l’homme à une machine a évolué vers une prise en compte de plus en plus poussée de l’« expérience utilisateur », et d’un rapport autant fondé sur la praticité que sur le jeu.

Il est tentant, pour l’art, de s’engager dans ce sillage et de proposer au plus grand nombre des expériences spectaculaires. Ainsi, pour une partie croissante de l’écosystème culturel, l’« immersif » semble devenir un nouveau mantra. On connaît depuis quelques années les grosses productions de l’Atelier des lumières, des projections qui tournent et qui sont consacrées aux grands noms – Klimt, Klein, Dalí, Cézanne, Klee, parmi la trentaine réalisée. Le Musée d’Orsay propose lui aussi son « expérience immersive » avec « Un soir avec les impressionnistes ». Même les églises s’y mettent, avec le spectacle de Luminescence à Saint-Eustache à Paris !

Seulement, l’immersif ouvrira-t-il la porte des expositions à ceux qui « ne savent pas » et qui, profanes en matière d’art, n’osent pas pénétrer dans un musée comme s’il était un temple réservé aux seuls initiés, à « ceux qui savent » ? On peut alors se demander si le public du spectacle immersif « L’Égypte des Pharaons » de la Carrière des Lumières aux Baux-de-Provence se rendra, dans le voisinage immédiat, au Musée Granet d’Aix-en-Provence, dont les collections exceptionnelles de l’Antiquité à nos jours ne bénéficient pas du même pouvoir d’attraction.

En voulant démocratiser l’expérience artistique par le biais du divertissement, n’est-on pas en train d’appauvrir le rapport aux œuvres ? L’art doit-il tendre à devenir un produit de pur loisir, conçu pour des consommateurs d’un nouveau genre, invités à ne devoir goûter qu’aux ersatz ?

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°777 du 1 juillet 2024, avec le titre suivant : L’art au défi du divertissement

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