Chaque mois, Pierre Wat raconte un jour dans la vie d’un artiste, entremêlant document et fiction pour mieux donner à voir et à imaginer.
– Est-ce que tu peux me passer mes affaires ? Elles sont sur la chaise, juste à côté de toi.
– Attends, je m’habille.
– Tu es tellement lente. Maman a bien dit qu’elle ne voulait pas qu’on soit en retard.
– C’est ma robe. Elle colle. J’aurais dû me sécher avant de l’enfiler, mais je n’aime pas ça. C’est comme si je restais plus longtemps dans l’eau, tu vois. Je n’ai pas envie de partir.
– Tu n’as jamais envie de partir. Hier, c’était pareil. Tu es restée si longtemps à jouer avec les garçons. Maman était furieuse.
– C’était bien. On restait allongés sur le sable, au bord de l’eau, en attendant que les vagues viennent nous recouvrir. Celui qui était le plus recouvert avait gagné. J’ai gagné plein de fois, plus que Manuel. Il était fâché. Enfin, je crois qu’il faisait semblant, pour me faire plaisir.
– Dis donc, j’ai l’impression qu’il te plaît bien, ce Manuel.
– Ne dis pas de bêtises. Aide-moi à m’habiller, plutôt.
– Mais tu vois bien que je me coiffe. Elle est jolie ma robe rose, tu ne trouves pas ? Tu as vu comme elle se gonfle joliment quand il y a du vent ?
– Je n’ai pas envie de rentrer. C’est comme si l’été allait finir comme ça, d’un coup.
– Que tu es sotte. Il vient à peine de commencer. On reviendra demain, et après-demain, et chaque jour.
– Mais regarde, nos cousins sont encore en train de jouer au bord de l’eau. Et je vois Manuel parmi les baigneurs.
– Tu commences à m’ennuyer avec ton Manuel. Si ça continue, je vais en parler à Maman. Quant à nos cousins, ça ne me regarde pas, mais je trouve que Tante Marta les laisse un peu trop faire ce qu’ils veulent. Allez, dépêche-toi ! Moi, je suis prête. Au fait, tu ne m’as pas dit : est-ce que je suis bien coiffée ?
– Est-ce que tu crois qu’on reviendra l’an prochain ? Est-ce que tu crois qu’on viendra encore ici quand on sera grandes ?
– Bien sûr que oui, on vient chaque année depuis qu’on est nées. Et Maman venait ici quand elle était petite, avec grand-mère et sa niñera Dulce. Tu sais bien, Maman nous a raconté cent fois qu’elle adorait se baigner, mais que la pauvre Dulce, qui ne savait pas nager, était terrorisée à l’idée qu’elle risquait de se noyer !
– Je n’arrive pas à mettre ma robe.
– C’est normal, c’est l’eau salée, ça colle. Tu aurais dû te rincer, comme je te l’avais conseillé.
– Mais non, c’est cette robe qui est mal fichue. Et d’abord, pourquoi moi je dois mettre une vieille robe de Maman alors que toi, elle t’a acheté cette robe rose exprès pour les vacances ?
– Ah, toi aussi tu la trouves jolie ma robe ? Si tu avais été plus gentille durant l’année, elle t’en aurait certainement acheté une à toi aussi.
– Gentille ! Tu veux dire fayote, du genre bien mielleuse, comme toi.
– Oh, tu es odieuse, je…
– Tu vas le dire à Maman, je sais. – Paloma, il y a un homme là-bas, je crois qu’il nous regarde.
– Mais oui, c’est le peintre ; il vient ici tous les jours.
– Tu crois qu’il me trouve jolie ?
– Ça n’est pas toi qu’il regarde, c’est la lumière qui nous enveloppe.
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Le Jour où… Sorolla, a peint « Après le bain »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°724 du 1 juin 2019, avec le titre suivant : Le Jour où… Sorolla, a peint "Après le bain"