Art contemporain

Le film de Buster Keaton… de Susanna Fritscher

Par Élisabeth Couturier · L'ŒIL

Le 24 mars 2020 - 584 mots

Chaque mois, Élisabeth Couturier présente un objet cher à un artiste. Ce mois-ci... Le film de Buster Keaton de Susanna Fritscher

Fétiche -  Elle ne parlera pas tout de suite de son objet fétiche. Lorsque je la retrouve dans son atelier à Montreuil, quelques jours avant l’installation visuelle et sonore intitulée « Frémissements » qu’elle s’apprête à mettre en scène au Centre Pompidou-Metz, l’artiste vérifie les derniers ajustements techniques. On comprend son angoisse : désormais présentée dans la salle du 3e étage du musée comportant une large baie donnant au lointain sur le centre-ville, sa pièce occupe 1 100 m2 et se compose de 75 000 fils de silicone transparents et pendus à la verticale. Fragile et quasi insaisissable, l’ensemble ondule selon un subtil système de soufflerie qui, au passage, émet un son sourd et répétitif. Invité à traverser l’ensemble et à s’y immerger, le visiteur a l’impression d’entrer dans un autre espace-temps : « La lumière ainsi filtrée incite les gens à ralentir, à marcher avec prudence, à prendre conscience des vibrations lumineuses qui les entourent », précise Susanna. Elle ajoute : « L’espace, la lumière, le mouvement constituent les constantes de mon travail. Ce que je montre à Metz est une suite, une adaptation in situ de Rien que l’air, que j’ai présenté d’une part au Musée d’arts de Nantes en 2017, dans une salle de 15 m de haut, dans le cadre de l’exposition « De l’air, de la lumière et du temps », et, d’autre part, au Louvre Abou Dhabi, en 2019, sous le dôme magnifique de Jean Nouvel. » Peut-on parler de déambulation méditative ? « Éventuellement, mais sans mysticisme ni pathos », souligne Susanna Fritscher, qui se réclame volontiers de la rigueur esthétique et éthique défendue par les minimalistes américains, tout en reconnaissant sa dette envers les « pénétrables » de Rafael Soto et les expérimentations cinétiques. Mais entre l’œuvre de James Turrell et celle d’Ann Veronica Janssens, sa préférence va à la seconde : « Moins dans les étoiles ! », lâche l’artiste qui tient à garder les pieds sur terre. Après coup, son choix d’objet fétiche me paraîtra moins étrange. Il s’agit du DVD du film de Buster Keaton Steamboat Bill Jr., en particulier la scène où un vent violent balaie tout sur son passage, se joue du corps de l’acteur qui tient bon, et qui trouve toujours le moyen de s’en sortir quand des pans entiers du décor lui tombent dessus : « J’ai vu ce film à 18 ans dans un cinéma à Vienne. Et cela m’a beaucoup marquée. Depuis, je le regarde souvent. Ce qui est incroyable, c’est qu’on rit de ces scènes apocalyptiques, particulièrement drôles sans jamais se moquer du héros. Aux prises avec la bourrasque, ballotté par les éléments, il effectue d’incroyables acrobaties pour se maintenir debout et au final réalise une véritable chorégraphie. C’est digne des ballets de Boris Charmatz ! » Elle regarde évidemment la scène comme une métaphore de l’existence. Mais insiste beaucoup sur le corps du héros comme « enjeu de cette traversée ». Traversée des aléas de la vie ou traversée du miroir ? Car, tempête oblige, le film dévoile la mécanique du cinéma : « Regardez, me dit-elle, Keaton assis sur le lit réalise un long travelling comme si c’était lui la caméra ! Et on découvre les échafaudages qui tiennent les façades des maisons. Une parenthèse, qui déborde le scénario et met à nu le langage cinématographique. » Susanna Fritscher tenterait-elle de réaliser la même chose, de nous faire prendre conscience, par son installation qui découpe la lumière en particules fines, d’une réalité cachée ?

« Susanna Fritscher, Frémissements »,
jusqu’au 17 août 2020. Centre Pompidou-Metz, 1, parvis des Droits-de-l’Homme, Metz (57). Tous les jours sauf le mardi, de 10 h à 18 h, jusqu’à 19 h le vendredi, samedi et dimanche. Tarifs : 7 à 10 €. www.centrepompidou-metz.fr

Des installations de Susanna Fritscher sont également visibles au Musée du Louvre Abou-Dhabi (Émirats arabes unis) jusqu’au mois de septembre 2020 et au Kunsthistorisches Museum à Vienne (Autriche), du 22 avril au 4 octobre 2020.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°733 du 1 avril 2020, avec le titre suivant : Le film de Buster Keaton… de Susanna Fritscher

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