Le grand public – et même le plus petit – ne le sait pas encore, mais en France cette année 2022 sera marquée, sur le plan muséal, par deux inaugurations qui pourraient surprendre.
Celle, au printemps et à Villers-Cotterêts (Aisne), d’une « Cité internationale de la langue française » et celle, à l’automne et à Paris, du « Musée de la BNF ». Deux lieux de patrimoine ayant pour objet le rapport à la langue, considérée sous deux angles différents.
La CILF (appelons-la comme ça), d’après ce que l’on en sait, associera le réaménagement en profondeur du château de Villers-Cotterêts en lieux d’exposition et d’animation avec l’installation d’une douzaine de résidences, accueillant écrivains et artistes. L’adjectif « international » est là pour rappeler que si l’ordonnance de Villers-Cotterêts (1539) a, contre le latin, imposé le « langage maternel françoys » dans les actes, procédures et autres « exploits de justice », la langue française de demain ne survivra qu’en s’adossant à toute une francophonie.
Ce n’est pas tout à fait un hasard si l’ordonnance a été publiée deux ans après l’instauration du « dépôt légal », qui pose les fondements juridiques de la Bibliothèque royale. Le Musée de la BNF, d’après ce que l’on en devine, ouvrira, lui, divers espaces du site Richelieu métamorphosés en circuits de visite, dans des proportions inédites jusqu’ici. Cette ouverture sera la clé de voûte d’une série de travaux officiellement lancés en 2006 mais que l’on pourrait sans exagération faire remonter à la création du site Tolbiac (aujourd’hui « François-Mitterrand »), à la fin des années 1980.
Ces deux projets posent assurément bien des questions, tout en essayant d’y apporter autant de réponses. Le Musée de la BNF ne se limitera pas au livre, qu’il soit manuscrit ou imprimé, même si l’on s’attend à y voir exposés en ce domaine de nombreux trésors. Au-delà de la rénovation de la galerie Mazarine et de son plafond peint du XVIIe siècle, celle des salles de Luynes ou des colonnes remettra en lumière les collections méconnues des monnaies, médailles et autres « antiques » de la BNF, pendant que le département des Arts du spectacle ouvrira plus que jamais au public sa rotonde où s’exposent déjà peintures et sculptures, estampes et manuscrits, costumes, masques, maquettes et accessoires.
C’est alors que l’on se souvient que la Bibliothèque nationale n’a jamais limité sa mission à la conservation et à la mise en consultation – mission élargie à l’automne 2022 par l’ouverture de pas moins de six nouvelles salles de consultation. Ses départements ont toujours eu à cœur d’organiser en direction du public une ambitieuse politique d’expositions qui a fait, par exemple, du site Richelieu un haut lieu de l’histoire des expositions photographiques.
À Richelieu comme à Villers-Cotterêts, on est curieux de voir comment la scénographie aura pu transformer en objets d’art ou en documents d’histoire des « inscriptions et belles-lettres », autrement dit des manuscrits et des chefs-d’œuvre d’impression, et faire que le tout soit susceptible d’intéresser des visiteurs recrus d’audiovisuel mais que l’on espère n’être jamais lassés de lire. Et d’entendre lire : Villers-Cotterêts aurait intérêt à méditer ce constat troublant qui voit cette France si attachée à sa langue, cette « nation littéraire », pratiquer peu un exercice familier, en revanche, aux sociétés anglo-saxonnes : la lecture en public de textes littéraires – et, en particulier, de textes poétiques – par leurs auteurs.
Bref, il y a matière. À l’époque du Front populaire, Julien Cain, administrateur de la Bibliothèque nationale, avait testé un ambitieux projet de « musée de la littérature », qui n’eut pas de suite. À l’heure où certains remisent déjà « au musée » le livre et la langue, il serait joli que le salut puisse venir de ces lieux qui, en paraissant les prendre au mot, retrouvent l’étymologie du mot : le temple des Muses (du grec mouseîon), qui a inscrit à jamais ce nom dans l’Histoire, était aussi le lieu qui accueillait en son sein la fameuse bibliothèque d’Alexandrie.
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La langue des Muses
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°583 du 18 février 2022, avec le titre suivant : La langue des Muses