La chambre photo de Christian SORG

L'ŒIL

Le 30 avril 2018 - 762 mots

Chaque mois, Élisabeth Couturier présente un objet cher à un artiste.Ce mois-ci...
Fétiche - « Je ne me suis jamais séparé de l’appareil photographique de mon grand-père qui était photographe professionnel et me permettait d’assister à ses prises de vue : il travaillait à la chambre, sur plaques de verre format 13 x 18, avec un appareil à soufflet, en noyer vernis, datant de la fin du XIXe. Les modèles qu’il portraiturait devaient rester immobiles un long moment face à l’objectif. La tête, cachée sous un tissu noir, mon aïeul appuyait sur la poire, et hop, c’était dans la boîte ! Je le retrouvais ensuite dans le petit laboratoire qu’il possédait au fond du jardin de la propriété familiale. Et, là, dans la lumière rouge, j’assistais, émerveillé, à toutes les étapes du développement. Après un long processus, l’image finale apparaissait comme par magie ! » Devenu peintre, Christian Sorg reste attaché au modèle. Mais, loin de vouloir en reproduire la forme exacte, il cherche, au contraire, telle une plaque sensible, à exprimer, à travers une gestualité vive et ramassée, ce qu’il ressent face à lui. Il épuise sur papier, puis sur la toile, le lien irréductible qui l’attache à un objet ou à un paysage familier : « J’ai fait moi-même quelques photos avec cet appareil, poursuit Christian Sorg. Puis, je m’en suis servi pour photographier mes propres peintures. J’ai eu un atelier dès l’âge de 15 ans. Au fond, ce qui m’intéresse dans la photographie, c’est la notion d’espace, la distance entre l’appareil et le modèle, et la présence qu’elle donne aux choses. Le temps et l’espace sont deux données essentielles à mon travail. » Passer de la nuit à la lumière comme le fait la photographie semble aussi l’avoir inspiré pour quelques-uns de ses plus beaux tableaux baignés dans un bleu profond, celui des nuits d’été dans la région âpre et pierreuse du sud de l’Aragon où il séjourne régulièrement depuis plus d’une vingtaine d’années. D’où ses peintures grand format, ayant pour motifs initiaux les rangées d’oliviers plantés en terrasse, les toits rouges du village de Calaceite, l’éclaboussure du soleil sur les collines ondulantes. Il déclare : « Ma peinture abstraite est parfaitement ancrée dans le réel ! J’ai vu et vécu les choses que je représente. Je suis comme un peintre préhistorique qui, lorsqu’il dessinait un bison sur la paroi d’une caverne, l’avait auparavant chassé. Aussi, je ne peins pas une montagne, je peins celle que je gravis, parcours, traverse régulièrement. Lorsque j’ai pris pour motif des figues, des fruits sur la table dans le soleil couchant, par exemple, j’ai réalisé de très nombreux dessins et peintures jusqu’à ce que j’obtienne ceux qui traduisent le mieux la présence des figues, des fruits, telle que je la ressens. » On pense, bien évidemment, à Cézanne et à la montagne Sainte-Victoire, où le précurseur du cubisme se rendait tous les jours avec son chevalet et ses tubes de couleurs. Apparaissent également les natures mortes de Morandi, ou certaines des dernières œuvres de Philip Guston, autres exemples de motifs récurrents reproduits jusqu’à épuisement. Des démarches quasi métaphysiques auquel le travail de Sorg fait écho. Par humilité, l’artiste déclare : « Je suis dans un questionnement permanent. » Un temps proche du mouvement Support-Surface, il a déclaré à l’historien et critique d’art Marcelin Pleynet, alors qu’il collaborait à la direction de la revue Document sur (1978-1980), son impossibilité à considérer la surface de la toile dans sa seule matérialité physique. Son amour fou pour les couleurs fait intensément vibrer ses toiles expressionnistes et a eu raison des théories contraignantes. En souvenir des séances photographiques de son grand-père, il dit : « En tant que peintre, je garde le même face-à-face avec les éléments que je représente. » Prenait-il alors le photographe pour un artiste ? : « Non, pour un magicien ! Car son médium mécanique offrait un résultat quasi immédiat. Moi, je peux passer des semaines, des mois, sur un tableau. » Curieux hasard : à l’époque, Christian Sorg habitait à Issy-les-Moulineaux, boulevard Auguste-Rodin, à deux pas de l’atelier de Matisse. Un parrainage subliminal ?

« Christian Sorg », jusqu’au 1er juillet 2018. Château de Vogüé, Vogüé (07). Tous les jours, sauf le mardi, de 10 h 30 à 13 h et de 14 h à 18 h. Tarifs : de 3,50 à 8 €. www.chateaudevogue.net« Christian Sorg »,
du 20 juillet au 23 septembre 2018. Musée-Galerie Carnot, 4 bis, rue Carnot, Villeneuve-sur-Yonne (89). Du mardi au samedi, de 10 h à 12 h 30 et de 14 h à 18 h, le dimanche de 10 h à 13 h et de 15 h à 18 h. Entrée libre. www.tourisme-sens.com

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°712 du 1 mai 2018, avec le titre suivant : La chambre photo de Christian SORG

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