« En raison d’un appel à la grève par plusieurs organisations syndicales portant sur les difficultés budgétaires et la défense de l’emploi à Radio France, nous ne sommes pas en mesure de diffuser l’intégralité de nos programmes habituels… ».
Pendant de trop longues semaines nos oreilles ont été assourdies par ce message répétitif. Puis, la grève a cessé, sans que l’auditeur frustré comprenne bien sur quel compromis le conflit s’était soldé – hormis l’abandon du regroupement des deux orchestres – et surtout vers quel projet se destinait la Maison ronde. En quoi une radio publique est-elle encore justifiée aujourd’hui, quelles seraient alors ses missions ? Ces questions de fond ont été éclipsées lors d’assemblées générales se focalisant sur les « difficultés budgétaires et la défense de l’emploi ». Très regrettable pour un lourd navire qui, comme tout un chacun doit réduire la voilure, et n’affiche toujours pas de cap. Une rare voix, celle du producteur Philippe Meyer, rappelait à sa Maison les multiples raisons de demeurer un service public, une radio d’offre, pas de marketing, inventant des émissions, prenant le risque de la spécificité, ne « se perdant pas dans la multiplication d’émissions de plateau bavardes dont les invités sont vus et entendus dans tous les médias » et qui l’invitait, aussi, à ne pas « se complaire dans une autosatisfaction ampoulée » (1).
La singularité, c’est bien, notamment, ce qui peut légitimer une telle radio. Alors, défendons Radio France et recommandons deux émissions confiées non pas à des professionnels de la radio, mais à deux dirigeants de grandes institutions, le Palais de Tokyo et le Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris (CNSMDP). Avec « Les Regardeurs » (2), Jean de Loisy (avec Sandra Adam-Couralet) nous invite à voir ou revoir, d’une manière originale, tableaux, sculptures, occidentales, orientales, d’époques variées : La Mer de glaces de Caspar David Friedrich, Un bar aux Folies Bergère d’Édouard Manet, le Carré blanc sur fond blanc de Malévitch, le Portrait de Michel Leiris par Francis Bacon, le Linceul de jade du roi de Chu, La Victoire de Samothrace… L’émission repose sur un précepte du pape Marcel (Duchamp) qui « croyait sincèrement que le tableau est autant fait par le regardeur que l’artiste ». Chaque œuvre est sincèrement documentée par son bagage historique, lecture de textes, de critiques, écoute de témoignages enregistrés. Chaque fois sont invités un historien et un artiste pour poser un nouveau regard et commenter les précédents. L’émission est vivante, souvent passionnante, avec un brio de « pro » le président du Palais de Tokyo relance le débat et prouve, avec ses invités, que le savoir n’est pas forcément pédant ou ennuyeux. Bruno Mantovani, lui, convie à ses « Menus plaisirs » (3) pour nous démontrer avec verve et gourmandise que musique rime avec plaisir. Il convoque interprètes, compositeurs, mais aussi la musique aquatique, nous emmène au Brésil, confesse, à rebours, qu’intellectuellement il n’aime pas Brahms et s’en justifie. L’œnophile directeur du CNSMDP, compositeur et chef d’orchestre, annonce un programme In vino veritas !
Mais que font ces hommes très occupés dans une radio ? Boulimie narcissique ? Et bien, ils réussissent à y prolonger un des volets de leur mission institutionnelle, la transmission vers le public, la pédagogie. Joie d’Internet, l’auditeur n’est plus astreint au rendez-vous des émissions, puisqu’il peut télécharger celles qu’il a manquées et lors des « Regardeurs », lui aussi, regarder la reproduction de l’œuvre commentée.
(1) Le Monde du 27 mars.
(2) « Les Regardeurs », France Culture, le samedi, 14h.
(3) « Les Menus plaisirs » de Bruno Mantovani, France Musique, le dimanche, 18h.
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Jean et Bruno sont dans une radio
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Abonnez-vous dès 1 €La terrasse du palais de Tokyo © Photo PHOTOGRAPHE - 2014 - Licence CC BY-SA 2.0
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°436 du 22 mai 2015, avec le titre suivant : Jean et Bruno sont dans une radio