Samedi 24 septembre, à Paris, dans le Marais, un grand maître de la peinture, vêtu d’un élégant pantalon de velours bleu, se glisse dans la galerie Thaddaeus Ropac. Il va s’asseoir sur une chaise, au fond d’une grande salle : c’est l’Américain Alex Katz, 89 ans, qui pendant une heure et demie va parler des paysages monumentaux accrochés autour de lui.
Questionné par la critique d’art Marie Maertens, puis par le public, il rappelle que la peinture française (Barbizon, l’impressionnisme, David…) a influencé son travail, qu’il réalise toujours des dessins préparatoires avant d’exécuter ses immenses toiles dans son atelier du Maine, que ces paysages ne sont pas réalistes, mais peints à partir de l’inconscient, que si un poète crée un langage, le peintre doit trouver une vision. « Je suis un quaker, je n’utilise pas l’internet, n’ai pas d’e-mail », lance-t-il avant de se lever pour mimer son geste de peindre un arbre afin de bien le faire comprendre à une jeune auditrice. Katz est à l’aise, décontracté, aime visiblement discuter simplement avec ce public qui a sans doute plus le pouvoir de regarder ses œuvres que de les acheter. Nous étions loin du climat des maisons de ventes et de leurs records spéculatifs claironnés à tout vent. Thaddeus Ropac vend les œuvres de Katz au prix du marché, mais assume aussi le rôle du galeriste de favoriser la transmission de l’œuvre par des publications, des catalogues et ces « cafés littéraires », où une « star » offre son temps et son expérience.
Visite commentée par l’artiste
Samedi 1er octobre, au LaM, le Musée de Villeneuve d’Ascq, un groupe de visiteurs attend Luc Tuymans. Le Flamand, aujourd’hui un peintre majeur, vient faire visiter sa nouvelle exposition, « Prémonitions », avec le commissaire Marc Donnadieu. Tous les peintres ont expérimenté différentes techniques, mais Tuymans, lui, les combine dans des allers et retours incessants. Âgé de 58 ans, d’une autre génération donc que Katz, il explique comment il part d’un Polaroïd, ou d’une photographie prise par son iPhone : « Il ne faut pas combattre les nouvelles technologies, on serait perdant, il faut les incorporer pour faire autre chose. » Il montre comment à partir d’un Polaroïd il réalise un tableau ou une aquarelle, puis photographie cette aquarelle, peint une autre aquarelle, photographie à nouveau cette aquarelle et ainsi de suite… L’œuvre est sans fin, il revient régulièrement sur des thèmes pour les réétudier à travers d’autres médiums et d’autres perceptions. Dessins, lithographies, sérigraphies, photocopies, maquettes, peintures, un film d’animation… prouvent avec quelle intensité il se concentre sur « cette autre manière de s’adresser à l’image », où l’interprétation qu’il donne du réel devient aussi importante que le sujet ou le motif lui même. La polysémie de Saint Georges souligne combien un simple regardeur peut être aussi spectateur lâche, voyeur. Tuymans mentionne qu’il a donné ce grand format au Musée du Grand-Hornu, à l’occasion du départ de Laurent Busine, comme il a offert une toile au Smak de Gand, fondé par Jan Hoet, une autre à la Tate Modern après la démission de Nicholas Serota, en reconnaissance du soutien que lui ont marqué ces directeurs : « Sans générosité, il n’y a pas de culture et pas d’art ». Devant Schwarzheide, peint en 1986, il évoque aussi combien son travail était mal accepté au départ et, en souriant, lance une pique : « Les Français ne comprenaient pas l’understatement (sous-entendu) de ce tableau, ils étaient obsédés par le Supports/Surfaces ». La conversation s’achève, il doit partir pour la Royal Academy de Londres, où il est commissaire d’une exposition Ensor, ouvrant à la fin de ce mois. Comme Katz, Tuymans sait offrir son temps et trouver les mots justes pour éclairer le public.
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Générosité de grands peintres
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Abonnez-vous dès 1 €jusqu’au 8 janvier, LaM, 1 allée du Musée 59650 Villeneuve d’Ascq, tél. 03 20 19 68 68, mardi-dimanche 10h-18h, entrée 10 €. « L’œuvre graphique Tuymans (1989-2015) », éd. Ludion, et un guide (50 pages) offert à tout visiteur.
Légende Photo :
Luc Tuymans, Saint-Georges, 2015, huile sur toile, 172 x 375 cm, collection MAC’s (Musée des Arts Contemporains de la Fédération Wallonie-Bruxelles), Hornu. © Photo : Studio Luc Tuymans.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°465 du 14 octobre 2016, avec le titre suivant : Générosité de grands peintres