Quel point commun Judit Reigl, Pierre Alechinsky, Anselm Kiefer ou Barthélémy Toguo peuvent-ils bien partager ? A priori aucun. A priori seulement, car si la première est née en Hongrie en 1923, le deuxième en Belgique en 1927, le troisième en Allemagne en 1945 et le dernier au Cameroun en 1967, tous vivent une histoire particulière avec la France. « Le seul trait qui soit commun à ces artistes, écrit Germain Viatte dans sa préface au livre de portraits de Martine Franck (Venus d’ailleurs, Imprimerie nationale, 156 p., 45 e), c’est d’avoir un jour désiré Paris, d’y avoir fait œuvre, et de lui être resté […] profondément attaché. » Portraiturés par une photographe elle-même née en Belgique, ils sont soixante-trois à être « venus d’ailleurs » et dont tous, ou presque, constituent ce que l’on appelle la « scène française » : Adami, Sarkis, Rebecca Horn… pour les vivants, Chagall, Lam, Leonor Fini… pour ceux qui ne sont plus. Paru en septembre, le livre de Martine Franck résonne d’un écho particulier au moment où la Triennale du Palais de Tokyo suscite des divisions. Okwui Enwezor, son commissaire, l’a en effet voulue ouverte sur le monde : « Cette triennale n’est pas une manifestation sur la France mais en France, a-t-il déclaré à Télérama, à un moment où la question de l’identité semble y être cruciale. » Or, pour certains, le Palais de Tokyo et la Triennale devaient faire ce que font déjà le Whitney pour les artistes américains et la Tate Britain pour les Britanniques : promouvoir le dynamisme de la création en France – ce que prônait « La force de l’art » dont la Triennale est l’émanation. Pour les autres, il ne saurait être question d’être pris en défaut de nationalisme artistique. Au pays des Lumières et des droits de l’homme, prendre position en faveur de la « scène française » – celle de Martine Franck, mais aussi celle cosmopolite défendue par Olivier Kaeppelin lorsqu’il était directeur du Palais de Tokyo – ne saurait être si simple. « En France, il y a de bons artistes, dommage qu’on les cache », regrettait Catherine Millet dans Libération en mai 2011. Sans doute faut-il aujourd’hui dépasser ce débat. Au fond, tout le monde semble être d’accord sur le fait qu’il faut défendre la « scène française ». La question étant aujourd’hui de savoir comment le faire dans le respect de sa spécificité : sa diversité.
Nouvelle Frontière. « Intense proximité », la Triennale du Palais de Tokyo, aura rétabli une autre frontière, celle qui séparait Paris du reste de la France. Péché de gourmandise ou nouvel excès de centralisme ? Car la Triennale, dans son format d’exposition thématique internationale, vient concurrencer inutilement une autre manifestation bien implantée dans l’Hexagone depuis sa création en 1991 : la Biennale de Lyon. Pourtant, s’interroge le sociologue Alain Quemin, repris par le journal Libération du 27 avril, « ne vaudrait-il pas mieux renforcer la Biennale de Lyon ? »
Réunification. La campagne présidentielle qui s’est achevée n’aura pas aboli la scission qui éloigne les politiques des questions culturelles. Même la gauche, d’habitude décomplexée sur le sujet, a semblé peu préoccupée par la culture, gênée par ses positions sur Hadopi. Il ne faudra donc pas aller chercher dans l’exposition de photographies organisée au Q.G. de François Hollande entre les deux tours de l’élection les raisons de sa victoire. À moins que le souhait du candidat de « mettre la culture au cœur de son engagement présidentiel » (discours du 18 mars au cirque d’Hiver) n’ait fait pencher la balance en sa faveur. « L’avenir de notre pays passe par un grand projet : celui d’une culture qui permette à nos concitoyens de se retrouver dans une volonté commune […] : celle d’être capables de rêver ensemble à un avenir où nous serions réunis dans une cause supérieure. » Oui, rêvons…
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Frontières
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°647 du 1 juin 2012, avec le titre suivant : Frontières