Franchir le cap des tempêtes (suite)

Par Jean-Christophe Castelain · L'ŒIL

Le 20 novembre 2008 - 414 mots

Il n’y a pas que la City, fine fleur du patrimoine financier britannique, qui parte en capilotade ces jours-ci au Royaume-Uni. Depuis cet été, les collections publiques risquent de perdre deux tableaux majeurs de Titien. Nos lecteurs attentifs connaissent l’histoire de ces deux œuvres rares, appartenant au duc de Sutherland, mais déposées depuis 1945 dans un musée écossais. Le duc, sans doute à court d’argent, souhaite les vendre, mais il est prêt à en faire bénéficier en priorité son pays pour la modique somme de 120 millions d’euros, alors qu’elles vaudraient 300 millions sur le marché. Cette affaire fait évidemment grand bruit outre-Manche, et une souscription nationale est en cours pour réunir les fonds nécessaires.

Cela fait bien longtemps maintenant que les nations ont compris l’importance du patrimoine historique. Inutile de revenir ici sur l’intérêt économique des musées. Rappelons simplement combien les peuples sont de plus en plus attachés à leur histoire artistique, qui fonde leurs racines. Alors que le monde change à une vitesse incroyable, les hommes ont besoin de repères. Et cela ne concerne pas que l’Occident. La Chine veut construire mille musées pour y rassembler son art plusieurs fois millénaire. Les riches États du Moyen-Orient profitent de la manne pétrolière pour constituer des collections d’art islamique et les présenter dans des bâtiments à l’architecture sophistiquée.
En France, la forte mobilisation des entreprises autour du musée des Beaux-Arts de Lyon avait permis de rassembler la somme record de 17 millions d’euros (sept fois moins que le prix des Titien) et de conserver La Fuite en Égypte de Poussin.

Ce qui est remarquable, car plus inattendu dans l’affaire des Titien du duc de Sutherland, c’est la mobilisation des artistes phare de la scène britannique. Lucian Freud, Damien Hirst, David Hockney ont signé une pétition appelant à une mobilisation des pouvoirs publics, remise en main propre à Gordon Brown par l’artiste Tracey Emin. Par leur attitude et leurs déclarations, ils reconnaissent que la création contemporaine s’inscrit dans un continuum qui vient des bisons de la grotte d’Altamira et se prolonge par les moutons plongés dans le formol de Hirst.
Le symbole, car on est là dans le registre du symbole, est d’autant plus fort pour ces artistes fortunés que les périodes économiques difficiles, comme celle qui s’annonce, ne sont jamais propices au soutien à la création contemporaine. Il y a bien d’autres priorités que l’enrichissement des collections publiques. Et pourtant, comme disent les boursiers, c’est au son du canon, en période de crise, qu’il faut acheter…

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°608 du 1 décembre 2008, avec le titre suivant : Franchir le cap des tempêtes (suite)

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