« Un photographe trompe son monde à Visa pour l’image » (Libération) ; « Perpignan : un photographe trompe Visa en présentant une fausse exposition pour dénoncer les fake news » (Midi libre) ; « Le photographe Jonas Bendiksen joue avec le feu des fake news » (Le Monde), etc.
Le photographe norvégien, né en 1977, a déclenché un véritable tsunami dans le Landerneau de la photo. Membre de l’agence Magnum depuis 2008, Jonas Bendiksen a avoué avoir sciemment trompé son monde. The Book of Veles, son livre publié au printemps, n’est en effet qu’un fake sur les fake news. Vélès, c’est le nom d’une ville de Macédoine du Nord. Personne ne connaissait cette cité de 43 000 habitants avant qu’une enquête du Guardian ne révèle, en 2016, qu’elle avait été le centre d’une vaste campagne de désinformation destinée à bousculer les élections présidentielles américaines. C’est là, à Vélès, que des dizaines de faux sites d’information avaient en effet été créés en vue de faire gagner Donald Trump.
Jonas Bendiksen a donc voulu en savoir plus, et il n’a pas été déçu : Vélès n’est pas seulement le nom d’une ville frappée par le chômage où la jeunesse accepte de gagner un peu d’argent avec la production de fake news, c’est aussi le nom d’un dieu de la mythologie slave sournois et trompeur, comme le nom donné à un ancien manuscrit découvert en 1919, aujourd’hui considéré comme un faux : Le livre de Vélès.
Tous ces « faux » ont donné l’idée à Bendiksen de « jouer » avec le sujet, et de réaliser à son tour un faux reportage pour mieux dénoncer l’industrie du fake. Celui-ci est donc allé à Vélès pour réaliser des photographies de lieux vides, dans lesquels il a plus tard incrusté des avatars virtuels, de faux personnages créés sur Internet. Dans ce faux reportage, le photographe a ensuite placé des fac-similés du livre apocryphe « de Vélès », quand le texte, lui, a été confié à un logiciel d’intelligence artificielle. Tout cela a donné naissance à un livre : The Book of Veles [Gost Books]. « En somme, explique Bendiksen, c’est devenu une fausse nouvelle sur les producteurs de fausses informations. » Sauf que tout le monde est tombé dans le panneau, à commencer par Magnum et Visa pour l’image, la Mecque du photojournalisme, où les images ont été projetées de bonne foi lors de la dernière édition du festival…
Ce n’est qu’après, le 17 septembre, que Jonas Bendiksen a dévoilé le pot aux roses dans un entretien publié sur le site de Magnum. Les réactions ont été immédiates : « J’étais flabbergasté, stupéfait », a écrit Jean-François Leroy. Le fondateur de Visa pour l’image n’a d’abord pas apprécié cette « blague », « discutable », mais dit réfléchir depuis « aux leçons à tirer » et aux « moyens de mettre l’expérience du Livre de Vélès à bon usage, en le voyant comme une opportunité plutôt qu’une attaque ». Car l’ambition de Jonas Bendiksen était moins de duper le monde que de l’alerter sur les risques encourus, quand il est aujourd’hui devenu si facile de désinformer grâce au deepfake (hypertrucage), aux avatars ou à l’intelligence artificielle. « J’ai menti en étant moi-même producteur d’une fake news, j’ai donc en quelque sorte entaché la crédibilité de mon travail, reconnaît Bendiksen. Mais j’espère que cela sera vu comme un pas en arrière et deux pas en avant – et que ce projet ouvrira les yeux sur ce qui nous attend demain, et sur les territoires qui attendent la photographie et le journalisme. »
La question du faux, et par conséquent du vrai, n’est pas nouvelle en photographie. Depuis son invention, cet outil d’enregistrement du réel bénéficie d’une présomption de vérité qu’un simple examen de l’histoire suffit à faire tomber. Le Baiser de l’Hôtel de Ville (1950) de Doisneau ? Une mise en scène, comme l’image du Drapeau rouge sur le Reichstag d’Evgueni Khaldeï (1945). Tout comme, aussi, le faux charnier de Timisoara photographié en 1989 par Robert Maass. Certains photographes se sont même fait une spécialité de la falsification. En 2014, Joan Fontcuberta présentait à Arles les sublimes images de la collection Trepat, inconnues même des spécialistes. Une parodie, en réalité, d’images de Rodtchenko, Man Ray et Moholy-Nagy, destinée à souligner notre fétichisme envers la modernité… Mais Joan Fontcuberta est un artiste, on lui pardonne tout. Jonas Bendiksen, lui, est photoreporter et n’avait pas le droit de jouer avec la vérité. N’avait-il pour autant pas le devoir de nous alerter sur les dangers de la désinformation et sur les risques auxquels les photographes, et plus largement nous tous, sont exposés aujourd’hui ? La polémique est toujours l’expression des sensibilités d’une société sur un sujet donné. En cela, Bendiksen a frappé fort. Et visé juste.
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Fake Similé
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°748 du 1 novembre 2021, avec le titre suivant : Fake Similé