Jean Cortot est un peintre prédateur. Mais s’il butine de texte en texte, détroussant les auteurs qu’il admire, c’est pour puiser dans la littérature l’énergie nécessaire à sa propre création.
En 1965, ses eaux-fortes répondent au texte que Jean Giono écrit pour son premier livre à quatre mains, La Charge du roi ; sa série des Écritures peintes se poursuit depuis 1967. La vivacité de ses portraits d’écrivains garde l’écho de l’accent de Colette et des conseils de Paul Valéry qu’il a côtoyés dans son enfance, parmi les artistes et poètes qui gravitaient autour de son père le pianiste Alfred Cortot. Formé à l’Académie de la Grande-Chaumière auprès d’Othon Friesz, c’est sous son impulsion qu’il forme avec Busse et Calmettes le « groupe de l’échelle » : pas de ligne esthétique commune, mais des réunions dans un atelier collectif, où chacun poursuit sa voie. Au sortir de la guerre, Jean Cortot s’installe dans l’atelier qu’il occupe encore à Montparnasse, au milieu de ses peintures amputées des quelque cent quatre-vingts tableaux détruits dans un incendie en 1999. Cette étude s’attache à la fois à ses toiles et à ses livres illustrés – plus de deux cents dans les années 1980 à 2000. Dans ces deux versants étroitement liés de sa production, les travaux à quatre mains – comme les Peintures manuscrites avec Julius Baltazar ou les Rencontres écrites avec Mehdi Qotbi – ne sont pas rares.
Dans la seconde moitié du XXe siècle, l’utilisation des écritures dans la peinture trouve une dimension nouvelle ; associé à des mouvements comme celui des lettristes lors d’expositions collectives, Jean Cortot ne veut être rattaché à aucun d’eux. Les Correspondances de 1957-1959 sont les premiers tableaux à faire référence à l’écrit ; à partir de 1963, les guerriers stylisés de l’ensemble des Combats font songer à des pictogrammes. Les premières Écritures peintes, évoquant des cursives ou des idéogrammes, laissent une grande place à l’invention d’un tracé personnel. À ces signes succèdent dès 1974 des citations et fragments de poèmes. L’imaginaire attaché à l’écriture, indépendamment de sa signification, a orienté le peintre vers la représentation d’écritures dont il ne connaît pas les codes : caractères oghamiques ou tifinaghs côtoient dans son œuvre des alphabets appris, grec et latin. Sa fascination pour l’origine des systèmes écrits va de pair avec une interrogation sur l’inné et l’acquis. « L’écriture est un dessin », annonce l’intitulé de plusieurs de ses expositions, paraissant évoquer une indifférenciation première. Une même ligne de peinture noire donne naissance aux mots et aux portraits d’écrivains brossés en quelques traits, les uns comme les autres semblant chercher un retour vers l’essence des objets. Le peintre fait référence à l’histoire du livre dans le choix de formes comme celle du volumen ; le texte est souvent écrit sans espaces entre les mots, évoquant des manuscrits médiévaux ou des inscriptions latines. Poésie et philosophie sont ses deux principales sources d’inspiration. La structure brute de la pensée d’un côté ; des mots faisant appel à l’imaginaire, libérés des contraintes d’élaboration d’un discours rationnel de l’autre. Le sens transmis est condensé dans ces deux formes où une parole individuelle cherche à se faire universelle : la philosophie tend souvent à une trame logique, la langue poétique est rarement délayée par des digressions narratives. Avec les signes peints entre 1967 et 1974, l’artiste établit un contact direct avec le spectateur dans un tracé antérieur à la construction du discours. Dans les Poèmes épars, la désagrégation des vers poétiques en lettres, unités du langage écrit, symbolise le retour de celles-ci au fonds commun de la création, les rendant disponibles pour des écrits futurs. En se déclarant prédateur des textes, Jean Cortot transmet l’idée d’un noyau universel, un temps de l’art où il coexiste avec des écrivains de toutes époques. Le spectateur devient lecteur devant ses Tableaux poèmes. En faisant appel aux auteurs de son panthéon personnel, où cohabitent T. S. Eliot, William Blake ou Dante, son œuvre peint constitue une autobiographie en négatif. Ses tableaux polyphoniques saisissent le flux d’une conscience qui assemble des fragments littéraires : « suivre un cheminement tel que le paysage change, tandis que l’eau qui s’écoule est la même » est le vœu qu’il souhaite réaliser au fil de ses toiles, déambulant dans les œuvres des poètes qu’il s’est choisis pour contemporains.
Hortense Longequeue
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Écritures peintes et livres d’artistes dans l’œuvre de Jean Cortot
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°408 du 28 février 2014, avec le titre suivant : Écritures peintes et livres d’artistes dans l’œuvre de Jean Cortot