Disparition - Rocambolesque, l’histoire du Salvator Mundi de Léonard de Vinci, adjugé pour 450 millions de dollars à l’issue d’une bataille d’enchères de dix-neuf minutes en novembre dernier, a été si largement commentée par les médias qu’elle ne mérite pas qu’on s’y attarde. Rappelons-la en quelques mots : peint vers 1500, le tableau vendu chez Christie’s le 15 novembre a appartenu à la collection du roi Charles Ier d’Angleterre au XVIIe siècle, avant de disparaître de la circulation pour réapparaître vers 1900 dans l’inventaire d’une collection britannique. « Or, entre-temps, raconte Roxana Azimi dans M,Le magazine du Monde, l’attribution à Léonard de Vinci a été oubliée. Au point qu’en 1958, lors de la vente de la collection Cook chez Sotheby’s, ce tableau présenté comme l’œuvre d’un banal “suiveur de Léonard” est adjugé 45 livres sterling. Il faut dire qu’il avait été dramatiquement restauré ! » Pour passer de 45 livres à 450 000 000 de dollars en moins de soixante ans, le panneau de noyer a durant cette période été réattribué à Léonard, dérestauré puis restauré de nouveau, avant de se retrouver au centre de l’affaire judiciaire qui oppose un milliardaire russe à l’ancien patron du port franc de Genève. Le Christ « Sauveur du monde » devient ainsi l’œuvre d’art la plus chère du monde. Un juste retour des choses pour la dernière œuvre encore sur le marché du génial peintre de La Joconde, qui rétrograde par la même occasion d’une place Picasso, Bacon, Warhol et Basquiat au palmarès des tableaux les plus chers. Sauf que cela fait cher payer une œuvre dont l’attribution est loin de faire l’unanimité auprès des spécialistes, et dont la dernière restauration s’apparente davantage à un miracle qu’à un sauvetage, tant le panneau du XVIe siècle était endommagé. « 450 millions de dollars ?! Espérons que l’acheteur comprenne les problèmes de restauration », a réagi l’ancien directeur du Met de New York, Thomas Campbell, sur Instagram, en publiant une photo du Salvator Mundi avant restauration. Le panneau y apparaît fendu, et l’image du Christ bénissant le monde presque… effacée.
L’effacement, il est vrai, possède sa propre histoire, comme le rappelle un essai paru en 2016 : Effacer, Paradoxe d’un geste artistique, prix Pierre Daix [Les Presses du réel, 368 p., 28 €]. Si « effacer, gommer, raturer forment une condition nécessaire à tout exercice graphique » chez Giacometti et Cy Twombly, écrit Maurice Fréchuret, l’auteur constate que « ce geste, foncièrement négatif et par définition contre-productif, peut a contrario être appréhendé comme processus créatif ». Le geste le plus éloquent fut celui réalisé par Robert Rauschenberg en 1953, qui persuada son aîné Willem De Kooning de lui confier un dessin afin de… l’effacer. Erased De Kooning Drawing se présente donc comme « une feuille quasiment rendue à sa virginité première » sur laquelle « le dessin de De Kooning n’est certes plus visible, mais, à y regarder de près, quelques traces continuent d’apparaître, visibles par un œil un tant soit peu attentif », écrit Fréchuret. Comme, finalement, pour le Salvator Mundi, sauf que l’effacement n’est pas dû cette fois au geste d’un artiste, mais à l’œuvre destructrice du temps. Faut-il alors rappeler qu’un tableau de Willem De Kooning aurait été cédé en 2015, lors d’une vente privée chez Christie’s, pour 300 millions de dollars ? De là à y voir un indice sur la valeur qu’attribue notre époque à la disparition de l’art, il n’y a qu’un pas que nous ne franchirons pas… À moins, bien sûr, qu’il ne s’agisse ici moins d’art que de placement financier ?
Réapparition - Alors que nous ne pouvions que regretter, il y a encore quelque temps, un net recul des expositions d’art ancien au profit de celles d’art contemporain, force est de constater que cette tendance se rééquilibre aujourd’hui. Le calendrier annuel des expositions, que nous publions traditionnellement en janvier, dévoile en effet des programmations de musées plus harmonieuses en 2018, et un retour de l’art ancien. Déjà, ces derniers mois nous avaient gratifiés de belles expositions sur les peintures d’église des XVIIe et XVIIIe siècles, les pastels de Jean-Baptiste Perronneau, les tableaux caravagesques de Nicolas Régnier ou ceux, académiques, de Jacques Réattu, comme sur la peinture religieuse de Jean Malouel. À côté des mastodontes attendus, les Picasso, Klimt et Schiele (en couverture), dont on célèbre le centenaire de la disparition en 2018, les prochains mois nous réjouiront encore avec des monographies de Pieter Bruegel l’Ancien (Vienne), de Tintoret (Paris), de Burne-Jones (Paris), et quelques belles (re)découvertes, à l’instar de Michel Sittow (Washington), de Michaelina Woutiers (Anvers), de Gaspar de Crayer (Cassel) ou encore du peintre japonais Jakuchû (Paris). À L’Œil, nous ne bouderons pas notre plaisir à parcourir pour vous ces expositions, à vous faire part, tout au long de 2018, de nos commentaires critiques et informés. Alors, bonne lecture, bonnes visites et bonne année !
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Disparition Réapparition
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°708 du 1 janvier 2018, avec le titre suivant : Disparition Réapparition