Défi
La création serait-elle mal en point ? On peut se le demander à l’issue de la visite de la 14e Biennale de Lyon, tant la création actuelle est minoritaire dans cette édition. Jamais, sauf peut-être en 1993, la biennale n’avait autant privilégié les œuvres historiques, faisant ainsi peu de place aux découvertes qui font pourtant le sel des biennales d’art contemporain. L’installation de
Clinamen v2 (des bols de porcelaine blanche tintinnabulant dans l’eau bleue d’une piscine), œuvre bien connue de Céleste Boursier-Mougenot, dans le
Radome de Richard Buckminster Fuller de 1957 restera pour beaucoup l’image de cette biennale. C’est dire… Faut-il pour autant y voir le signe d’une création défaillante ? Heureusement non. La dimension « historique » de cette biennale résulte du thème choisi cette année (le « moderne », un concept historique), du profil de sa commissaire – conservatrice, Emma Lavigne dirige le Centre Pompidou-Metz – et du partenariat signé avec Beaubourg, qui, dans le cadre de ses 40 ans en 2017, a prêté des œuvres de sa collection. Le fondateur de la Biennale de Lyon préfère, lui, voir dans cette 14e édition une tendance au retour à l’histoire, tendance qui devrait, selon Thierry Raspail, marquer les prochaines biennales d’art contemporain dans le monde. En ce sens, Lyon serait précurseur, et nous nous en réjouissons… Pourtant, cela ne doit pas occulter le fait que la Biennale de Lyon, créée en 1991, doit faire face à de nouveaux défis, à commencer par la diminution, générale, en France, des subsides publics, parallèlement à la hausse des coûts de production des œuvres. Ses frais fixes, notamment la location des espaces de La Sucrière le long de la Saône, sont devenus plus importants que les frais artistiques (la production). La Biennale de Lyon est à un tournant de son histoire. Le recours à des œuvres historiques et à la synergie avec d’autres institutions apparaît donc comme une solution. Une solution intelligente qui offre, en dépit de son manque de découvertes, une belle biennale 2017, l’une des plus belles que nous ayons vues. Mais une solution qui ne saurait être pérenne si la Biennale de Lyon veut conserver la place qui est devenue la sienne dans le monde…
Défié
La nouvelle saison d’expositions qui a ouvert cet automne à Paris montre, une fois de plus, le dynamisme artistique de la ville sur le plan international. Les chefs-d’œuvre de la collection Ordrupgaard au Musée Jacquemart-André, les rétrospectives Paul Gauguin et Irving Penn au Grand Palais, « Picasso 1932 » au Musée Picasso, « Pop Art » au Musée Maillol, « Monet collectionneur » au Musée Marmottan Monet, « Être moderne : le MoMA à Paris » à la Fondation Vuitton, forment autant d’expositions concomitantes que le monde entier nous envie. Pourtant, leur nombre et leur qualité ne doivent pas masquer une réalité plus nuancée : si d’autres capitales ne rivalisent pas avec Paris, leur puissance et leur capacité à s’exporter lui sont parfois bien supérieures. « Être moderne : le MoMA à Paris » en donne actuellement le plus parfait exemple. Véritable démonstration de force du musée new-yorkais, avec plus de deux cents œuvres convoyées en France, dont certains trésors absolus, cet événement s’inscrit dans la tradition des expositions d’influence qui ont imposé, depuis les années 1950, la présumée toute-puissance de l’art américain en France et dans le monde. Si l’art moderne européen domine les premières salles de l’exposition, avec
Le Baigneur de Cézanne, le
Jeune Garçon au cheval de Picasso et
Hope II de Klimt, le MoMA a ensuite « la fâcheuse habitude de penser que le destin de l’art se joue toujours aux États-Unis, comme dans les années 1950 », écrit notre confrère du
Monde. Une vision ethnocentrée que renforceront les expositions « Pop Art » et Irving Penn, toutes deux organisées par l’autre géant new-yorkais : le Met. Paris, terrain de jeu des grands musées étrangers ? Les commentateurs et les responsables des musées nationaux parisiens ont beau jeu de s’en offusquer. Le MoMA joue parfaitement son rôle. Mais nous, que faisons-nous pour nous exporter ? Cet automne, le Centre Pompidou, équivalent du MoMA à Paris, ne fera pas voyager ses expositions « Derain » et « César » [qui ouvrira le 13 décembre prochain], au moment même où le musée semble décrocher des circuits d’itinérance (et de prêts) des grandes expositions internationales… Pour Glenn Lowry, le puissant patron du MoMA, « c’est l’avenir qui compte, pas l’histoire ». Et pour nous ?