Mais quelle mouche a donc piqué les sénateurs à propos des écoles d’art ? Le laborieux projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine devait énoncer des objectifs clairs et voilà que le Palais du Luxembourg introduit une belle confusion, comme si ses membres ignoraient la réalité de la transmission de la création.
On pouvait attendre de ce projet, au-delà de ses aspects réglementaires et techniques, qu’il consacre la mission fondamentale des écoles d’art et qu’il proclame, notamment, que la pratique s’enseigne, en premier lieu, par la pratique. Certains de ses articles ne sont-ils pas volontairement déclamatoires ? On pouvait espérer qu’il affirme que ce sont des artistes et des designers, reconnus par leurs milieux professionnels, qui sont les mieux placés pour transmettre. Il n’en est rien. Les sénateurs ont oublié, sans doute, qu’en 2012 cinq écoles nationales supérieures de création ont créé, en association avec l’École normale supérieure et dans le cadre de l’université Paris Sciences et Lettres, un programme de recherche « SACRe » (Sciences, Art, Création) aboutissant à un doctorat pour des artistes et des designers. Leur initiative devrait réjouir les parlementaires soucieux de la bonne place de la France dans l’enseignement supérieur européen et la recherche ainsi que de l’application des accords de Bologne (Licence, Master, Doctorat). Enfin, un doctorat ! Avec une soutenance de thèse, comme pour les autres disciplines, lettres, histoire, sciences… – mais un doctorat fondé sur la pratique, pratice based disent nos amis anglo-saxons chez qui cette formation existe déjà.
Les sénateurs méconnaîtraient-ils alors la signification du mot « pratique » pour un artiste ou un designer ? Sans doute, car l’un de leurs amendements jette le trouble sur la mission des dites écoles : celles-ci doivent assurer « la formation initiale ou continue », mais « également celle aux activités de médiation dans les métiers ». Ainsi création et médiation seraient équivalentes, l’œuvre et son commentaire seraient mis au même étiage ? Le même établissement devrait offrir les deux formations disparates ? Souvenons-nous d’Henri Cartier-Bresson, pestant contre l’invasion des audioguides dans les musées : « Mais qu’on distribue des crayons aux visiteurs à la place ! », enrageait-il. L’artiste plaidait pour une médiation, mais par la pratique, celle du dessin.
Enjeux et finalités
Convenons, avec les sénateurs, qu’il est difficile de parler de l’art sans bavarder, et encore plus ardu pour un artiste d’évoquer son propre travail. Mais rassurons-les, les écoles forment les étudiants à la communication de projet. Bien sûr, tous les diplômés ne deviendront pas artistes ou designers et ils exerceront une activité en périphérie de la création. Mais ne brouillons pas dès le départ, dès leur entrée à l’école, les enjeux et les finalités de leurs études, et puis pourquoi seulement la « médiation » ? D’autres métiers sont exercés par des anciens élèves : commissaire d’exposition, galeriste…
Le projet de loi poursuit sa navette parlementaire. À juste titre, l’Association nationale des écoles supérieures d’art (ANdEA) a protesté. Espérons qu’elle sera entendue des députés qui comprendraient alors que leurs collègues de la Haute Assemblée ont seulement fait preuve d’un aveu : leur besoin sincère de médiation pour comprendre ce qu’est la pratique artistique.
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Confusion des genres
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Abonnez-vous dès 1 €Le palais du Luxembourg, dans le jardin du Luxembourg, à Paris © Photo Nicolas SANCHEZ - 2007 - Licence CC BY-SA 3.0
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°453 du 18 mars 2016, avec le titre suivant : Confusion des genres