Citoyen commissaire : a voté !

Le Musée d’art moderne et contemporain de Genève (Mamco) sollicite ses visiteurs pour qu’ils sélectionnent eux-mêmes les œuvres devant figurer dans la prochaine exposition automnale. « Demandez-nous de faire (ré)apparaître l’œuvre de votre choix parmi la collection » : la réponse est facile. Sur mamco.ch, l’internaute ouvre l’onglet « De Mémoire » (titre de l’exposition). Une liste d’artistes, illustrée par de nombreuses reproductions, s’affiche. Il n’a plus qu’à cliquer sur l’œuvre de son choix. Un commentaire est souhaité. Un courriel de confirmation est envoyé, un seul vote est accepté par adresse mail. Cette « votation », à la différence d’autres, ne concerne donc pas uniquement les Genevois ou les Suisses. Tout amateur peut y participer où qu’il réside. Le scrutin sera clos le 31 mars. Installations, peintures, dessins, gravures, photographies, vidéos, sculptures… la collection de l’établissement, créé en 1994, compte désormais plus de 6 000 références depuis la seconde moitié du XXe siècle. « De Mémoire » bénéficie aussi du récolement judicieusement effectué par l’équipe du musée durant sa fermeture à cause de la pandémie de Covid-19.

Nous pourrions reprocher au Mamco de sacrifier à l’air du temps, de ressasser le nouveau conformisme : un musée moins autoritaire, moins vertical, impliquant davantage ses visiteurs dans la production des expositions. Lui dire qu’à un « tutti frutti » électoral, à une sorte de grand prix du visiteur, nous préférerions la sélection opérée par un œil avisé, expérimenté, sachant faire dialoguer des œuvres, ou les confronter. Ce serait négliger le contexte de cette initiative. L’institution va fermer au printemps 2025 pour un important chantier de rénovation devant durer plus de trois ans. Avant, elle peut donc se permettre ce coup d’éclat où le public sera devenu partiellement commissaire. En lui déléguant cette fonction, elle va, à l’inverse, échapper à d’autres exigences contemporaines : la parité hommes-femmes, l’inscription du genre, de la diversité ethnique, raciale… Une exposition muséale qui sera alors peut-être moins conformiste. « De Mémoire » va fêter les 30 ans du musée, son accès, à partir du 3 septembre, sera gratuit.

La direction du musée s’est gardé l’autre volet de la fonction du commissariat d’exposition : la répartition des œuvres dans les espaces du musée (3 500 m2) et leurs associations. Elle se réserve le droit de procéder à des choix ou à des substitutions si les demandes excèdent les dimensions des salles, ou si l’œuvre est déjà prêtée ou en restauration. Elle ignore en effet les conséquences de la consultation. Savoir si Habibi, l’immense squelette en suspension signé par Adel Abdessemed (400 x 2100 x 350 cm, 2003), ou La Forêt de Xavier Veilhan (1998), qui peut se déployer sur 200 m2, seront retenus ainsi que d’autres envahissantes installations ou bien si les heureux élus seront majoritairement des petits formats, comme l’autoportrait de Nan Goldin (61,5 x 77 cm, 1988), ou une combinaison du tout. L’initiative sera riche d’enseignements, bien au-delà de ces sujétions pratiques. Savoir combien d’électeurs ont eu envie d’y participer. Analyser ensuite si leurs votes d’aujourd’hui correspondent encore à la volonté passée des conservateurs. La collection conserve un ensemble important de John Armleder. Figurera-t-il parmi les heureux élus et dans quelle proportion ? Des artistes reconnus puis négligés vont-ils ressurgir ? Étudier, avant une longue fermeture, dans quelle mesure le projet de l’établissement rencontre toujours les désirs d’un public est une aventure instructive à bien des égards et pour bien des institutions.