En février 2000, l’accès de l’extrême droite au gouvernement autrichien avait conduit une quarantaine de personnalités françaises à signer un appel enjoignant les artistes à refuser leur participation à toute manifestation en lien avec ce nouveau gouvernement.
Cet appel à« l’isolement intellectuel et artistique » de l’Autriche avait été critiqué parce qu’il aurait fait le jeu des xénophobes et populistes au pouvoir, et aurait affaibli les artistes prônant une résistance sur place, soutenue par une nécessaire venue d’artistes étrangers. L’appel heureusement n’a pas été écouté et un modus vivendi s’était établi au cas par cas.
Vingt-deux ans plus tard, l’invasion de l’Ukraine et ses exactions entraînent des réactions encore plus radicales : le bannissement de tous les artistes russes, puisqu’ils ont le tort de porter cette nationalité. Il frappe sans discernement : à juste titre des soutiens affichés à Vladimir Poutine – le pianiste Boris Berezovsky, le chef d’orchestre Valery Gergiev –, mais aussi d’autres musiciens : annulation de concerts de jeunes solistes, exclusion des candidatures russes à des concours de piano. « Il est tout à fait immoral de demander aux Ukrainiens de songer au confort des artistes russes alors que nous sommes sous les bombes », se sont emportés des artistes ukrainiens dans une pétition.
Le 5 mars, le président de la Fédération de Russie signait une loi menaçante prévoyant jusqu’à quinze ans d’emprisonnement pour toute personne discréditant l’action de l’armée. Cela n’a pas retenu certains en Occident de demander aux artistes, qu’ils vivent en Russie ou aient émigré en y laissant leur famille, de prendre ouvertement position. Le maire de Toulouse s’y est risqué avec Tugan Sokhiev. Le chef d’orchestre n’a pas « clarifié sa position », comme l’exigeait Jean-Luc Moudenc (LR), mais a démissionné brusquement et simultanément de ses fonctions à la tête de l’orchestre du Capitole et du Bolchoï en déplorant « qu’on lui demande bientôt de choisir entre Tchaïkovski, Stravinsky, Chostakovitch et Beethoven, Brahms, Debussy ».
Car l’opprobre s’est étendu au répertoire : interdiction en Pologne de jouer des compositeurs russes, même s’ils ont obtenu la nationalité française, puis américaine, comme Stravinsky. La culture russe est hybride, Nicolas Gogol, Anna Akhmatova sont nés en Ukraine. En le rappelant, il ne s’agit pas de refuser l’inventaire d’une « colonisation » de la culture ukrainienne par la Russie. Comme contre l’Autriche il y a vingt-deux ans, ces volontés d’imposer à la Russie « un isolement intellectuel et artistique » sans discernement renforceront Poutine et ses partisans dans leur légitimité à combattre l’Occident. L’importance du soft power a été surestimée ; les dictatures s’en moquent, comme de tomber en disgrâce.
Le rapatriement en Russie des deux cents œuvres de la collection Morozov, leur saisie totale ou partielle, a mobilisé l’attention davantage que les conditions d’obtention de l’exposition elle-même, à savoir l’aval de Vladimir Poutine. Après avoir montré avec grand succès les œuvres rassemblées par Sergueï Chtchoukine, la Fondation Louis Vuitton s’est enorgueillie de pouvoir accrocher celles des frères Morozov et même de prolonger jusqu’au 3 avril une exposition devant fermer le 22 février. Si j’avais été encore ministre de la Culture, j’aurais fait fermer l’exposition et renvoyé les œuvres tout de suite, a assuré Frédéric Mitterrand sur France 24 : « C’est un cas d’école, le cas typique d’un élément patrimonial incontestable qui sert en vérité de sous-marin à la propagande poutinienne. Il aurait fallu marquer le coup. » Deux remarques à un ex-ministre s’affichant très sûr de son pouvoir juridique ou de conviction : la guerre n’a pas empêché les visiteurs de se presser à la Fondation Louis Vuitton et LVMH a des intérêts commerciaux en Russie que les musées publics français n’ont pas.
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Boycottons des boycotteurs
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°588 du 29 avril 2022, avec le titre suivant : Boycottons des boycotteurs