« Daguerréotype : Remplacera la peinture (v. photographie). »
« Photographie : Détrônera la peinture (v. daguerréotype). »
Gustave Flaubert (1821-1880), dont on célèbre cette année le bicentenaire de la naissance, détestait, comme Baudelaire, la photographie. Il avait beau compter parmi ses proches amis le photographe Maxime Du Camp (qui l’accompagna durant son voyage en Orient en 1849-1851, source d’inspiration du roman Salammbô dont nous parlons dans ce numéro), rien n’y fit : Flaubert refusait de coiffer ses romans de son portrait photographique. Pourtant, la jeune invention était à cette époque à la mode, portée haut par Daguerre, Nadar, Carjat, Le Gray et Du Camp. Beaucoup pensaient avec Arago, lors de sa présentation du daguerréotype devant l’Académie des sciences de Paris en 1839, qu’elle allait « contribuer aux progrès des arts et des sciences », tandis que d’autres prétendaient au contraire qu’elle sonnait le glas de la peinture. « De ce jour, la peinture est morte ! », aurait même déclaré le peintre Paul Delaroche. Flaubert, qui fit de la bêtise son obsession, ne croyait visiblement pas à la mort de la peinture, réservant aux entrées « Daguerréotype » et « Photographie », dans son Dictionnaire des idées reçues, deux définitions qu’il ne faut bien sûr pas prendre à la lettre.
Depuis lors, philosophes, critiques et peintres eux-mêmes (Malevitch, Reinhardt, Fontana…) ne cessent d’annoncer la fin de la peinture… suivie de son toujours inéluctable retour. Les lecteurs de L’Œil savent que, après une période de crise, la peinture est revigorée depuis une dizaine d’années par une génération d’artistes qui a su se libérer, en France, des conflits de ses aînés. Étonnamment, aucune institution nationale ne semble avoir pris conscience de ce phénomène, aucune exposition d’ampleur ne lui ayant été consacrée. Croyons donc que le jeu de chaises musicales opéré cet été à leur tête, à commencer par la nomination de Laurent Le Bon à la présidence du Centre Pompidou et de Xavier Rey à la direction du Musée national d’art moderne, fasse évoluer les choses. En attendant, le centre d’art Àcentmètresducentredumonde réunit jusqu’au 12 septembre 2021, à Perpignan, « 50 peintres contemporains de la scène française » afin de montrer « l’extraordinaire vitalité de la peinture de la scène française contemporaine ». Du 9 au 12 septembre, la foire Art Paris consacre, elle, un parcours à la question « du portrait et du renouvellement de la peinture figurative en France ». De son côté, le nouveau directeur du MO.CO., Numa Hambursin, annonce dans nos pages son ambition de faire de l’établissement montpelliérain « l’une des institutions françaises où l’on verra une véritable réflexion sur la peinture contemporaine », quand le Musée des beaux-arts de Dole, l’abbaye Sainte-Croix des Sables-d’Olonne et le Musée Estrine à Saint-Rémy-de-Provence, réputés pour leur intérêt pour la peinture, travaillent de concert à la préparation d’une exposition sur les jeunes peintres français en 2022. Autant de signes de plus en plus nombreux du retour de la peinture. Ne pas les voir relèverait de l’aveuglement.
« Art : Ça mène à l’hôpital. À quoi ça sert, puisqu’on le remplace par la mécanique qui fait mieux et plus promptement. »
« Artistes : Tous farceurs […]. Gagnent des sommes folles, mais les jettent par les fenêtres. Souvent invités à dîner en ville. »
Les dîners en ville, il est peu probable que les 242 artistes qui viennent d’entrer dans la collection du Centre Pompidou les ont fréquentés. Les hôpitaux, en revanche…
Le cinéaste Bruno Decharme fait don au musée de 921 œuvres de sa collection. Exceptionnelle, cette donation est historique. Elle rappelle d’abord ce que les collections nationales doivent, depuis leurs origines, aux collectionneurs privés. Elle dote ensuite le Musée national d’art moderne d’un ensemble significatif d’œuvres que les musées des beaux-arts, à l’exception notable du LaM à Villeneuve-d’Ascq, ont jusqu’à présent ignoré : l’Art brut. C’est ainsi que, depuis cet été, une salle du Mnam est en permanence consacrée à ce domaine de la création théorisé à partir de 1945 par Jean Dubuffet. Les visiteurs peuvent y voir, par roulement, des œuvres majeures d’Aloïse Corbaz, de Fleury-Joseph Crépin, d’Henry Darger, d’Adolf Wölfli, d’Augustin Lesage, de Madge Gill, de Judith Scott, de Luboš Plný, une sculpture de la série des Barbus Müller, etc. Plusieurs signaux récents indiquaient ces mouvements de lignes : la place accordée à l’Art brut et aux œuvres inclassables lors de la 55e Biennale de Venise, en 2013 ; l’exposition Darger au Musée d’art moderne de Paris en 2015, à la suite d’une donation en 2012 et 2013 ; l’entrée de L’Art brut dans la collection « L’art et les grandes civilisations » chez Citadelles & Mazenod, en 2018 ; la préparation du colloque « De quoi l’Art brut est-il le nom ? » à Cerisy, en 2022… La donation Decharme entérine aujourd’hui cette tendance, et place l’Art brut dans l’histoire de l’art. Enfin.
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Aveuglement / Dessillement
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°746 du 1 septembre 2021, avec le titre suivant : Aveuglement / Dessillement