Art contemporain

Au secours, la peinture revient !

Par Stéphane Corréard · Le Journal des Arts

Le 13 février 2025 - 670 mots

À la manière des zombies dans les films de série Z, la peinture n’arrête pas de renaître. On pensait pourtant son sort réglé depuis 1910, quand Roland Dorgelès a prouvé qu’un âne barbouillant avec sa queue pouvait comme n’importe quel artiste professionnel être accepté au Salon des indépendants… Marcel Duchamp eut alors beau jeu de stigmatiser les « intoxiqués de la térébenthine », et de populariser l’expression « bête comme un peintre ».

Depuis, la peinture ne cesse néanmoins de réapparaître épisodiquement dans l’actualité artistique, et son marché. Pour s’en tenir aux dernières décennies, alors que 1980 regorgeait de supposés « nouveaux » peintres, la revue Art Press s’interrogeait dès 1995 dans un hors-série : « Où est passée la peinture ? » En 2023 et 2024, des musées en ont programmé un large état des lieux, faisant grand bruit et attirant les foules : « Voir en peinture : La jeune figuration en France » aux Sables-d’Olonne puis à Dôle, ou « Immortelle », au Mo.Co à Montpellier.

Cet indiscutable « retour de la peinture » (figurative, qui plus est !) est-il un énième revirement du goût, ou le signe – enfin ! – d’une acceptation des spécificités d’une création authentiquement visuelle ? En effet, depuis longtemps tous les autres secteurs (danse, cinéma…) se sont construits autour d’un consensus : non seulement la spécificité de leur médium est « figée », mais leur contenu sacrifie lui-même à un substrat narratif, en écho aux situations que le public rencontre dans sa propre existence. Pas dans l’art cependant : l’utopie de l’avant-garde ne s’y étant jamais avouée vaincue, on y demeure à l’affût d’un « nouveau » toujours plus radical voire révolutionnaire… Faute d’innovations réelles cependant, l’art est devenu une joyeuse auberge espagnole : offrir de la nourriture aux visiteurs est devenu une œuvre, au même titre qu’un objet industriel, une conférence-performance, un poème, des archives, un film…

Un certain classicisme rejaillit cependant, unissant récemment les peintures de Guillaume Bresson (au château de Versailles), Dhewadi Hadjab (en résidence à l’Opéra de Paris), Thomas Lévy-Lasne (au centre d’art Les Églises, à Chelles) ou Bilal Hamdad (à l’Institut de France), qui assument figuration raffinée, lumières sophistiquées, compositions savantes… Qualifié par certains de « nouvel académisme », dont le maniérisme parfois exacerbé peut évoquer le tant honni art pompier, il s’impose grâce au renouvellement de ses sujets. Dans ces tableaux en effet, livreurs Uber Eats, gangs de rue, paysages de désordres climatiques ou amoureux éclairés par l’écran de leurs ordinateurs portables ont remplacé nymphes et saints, bourgeoises au jardin et vues pittoresques. Le monde de l’art acterait-il que le public a besoin des peintres pour l’aider à voir notre environnement, en mutation permanente ?

C’était dès 2000 le propos de l’exposition présentée aux Beaux-Arts de Paris par Hector Obalk : le critique émettait l’hypothèse que « ce n’est pas la peinture qui est morte. Ce n’est pas l’art qui a progressé. Ce sont les pommes qui ont changé » ; aux peintres donc de s’attaquer à « la réalité d’aujourd’hui ».

La réaction avait été à la mesure de la frontalité de l’attaque. Résumant l’hostilité générale, Geneviève Breerette s’étranglait dans Le Monde : « Comment pareille exposition, qui a la prétention de traiter de la réalité d’aujourd’hui, parce qu’elle montre des lignes jaunes et des Fiat rouges (les pommes qui ont changé !), et ne traite rien, sinon des goûts d’un commissaire dont les considérations sur l’état des beaux-arts sont beaucoup plus fumeuses que celles de Jean Clair, comment une exposition aussi peu, aussi mal, problématisée, peut-elle inaugurer la saison de l’école du quai Malaquais ? Sinon qu’il y a derrière l’idée de foutre la merde ? »

Et si, vingt-cinq ans plus tard, il s’avérait qu’Obalk fut prophétique ? Banni des colonnes des journaux comme des cimaises des institutions, il s’est réinventé en showman de l’histoire de l’art, jouant au théâtre trois ou quatre fois par semaine une version de son spectacle Toute l’histoire de la peinture en moins de deux heures, toujours à guichets fermés, témoignant de l’appétence jamais assouvie du public pour une pratique qui assume – et même revendique – la spécificité des arts dits visuels.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°649 du 14 février 2025, avec le titre suivant : Au secours, la peinture revient !

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