Au moment où se termine les commémorations de l’une des pires et des plus stupides barbaries de l’Histoire humaine, au cours de laquelle des millions de gens se sont entre-tués au nom d’illusoires différences, il n’est pas inutile de se souvenir que l’Art, depuis des dizaines de milliers d’années au moins, démontre au contraire l’unité de l’espèce humaine, et l’universalité du désir de beauté et de sens.
Nous venons d’en avoir une preuve de plus avec la datation récente d’œuvres d’art trouvées à Bornéo, confirmant la similitude extraordinaire entre ces peintures, réalisées il y a plus de 40 millénaires dans la grotte de Lubang Jeriji Saleh, en Indonésie (considérée, pour le moment, comme les plus anciennes œuvres figuratives connues au monde), et d’autres, à peine plus récentes, trouvées dans les grottes de Hohle Fels en Allemagne, du Monte Castillo en Espagne, puis de Chauvet et de Lascaux en France.
Ce sont les œuvres d’hommes divers, Dénisoviens, Néandertaliens, ou Sapiens, qui ont parcouru en quelques décennies les dix mille kilomètres séparant alors, par la terre, l’Auvergne de Bornéo. Ils ont, dans ces lieux si distants, peint, dans le même ordre chronologique, des figures abstraites (qui sont pour moi d’abord des labyrinthes, métaphores de leurs conditions de nomades), des mains, des silhouettes animales, des figures humaines. Ceci en témoignant d’une incroyable proximité stylistique. Chez chacun d’eux, on peut distinguer, comme chez nous aujourd’hui, des peintres abstraits et des peintres figuratifs. On commence même à reconnaître des époques et des changements de styles à l’intérieur d’une même époque.
Ces œuvres nous rappellent que l’Eurasie ne forme qu’un seul continent, allant de l’Atlantique au Pacifique, parcouru dans tous les sens depuis des dizaines de milliers d’années par des gens manifestant des préoccupations analogues, évidemment métaphysiques. Des nomades, vivant leurs voyages sur la Terre comme une métaphore de leurs voyages entre ce monde et les autres mondes, ceux d’avant la naissance et ceux d’après la mort, auxquels ils voulaient croire et espérer.
Des mondes avec lesquels ils tentent de communiquer par leurs rituels, dont font partie ce que nous nommons aujourd’hui des œuvres d’art. Sans doute ne faut-il pas ici glorifier particulièrement l’homme européen : on sait maintenant qu’il existe des traces artistiques et métaphysiques aussi puissantes, plus anciennes encore, en Namibie et en Afrique du Sud. Je suis convaincu aussi que l’on découvrira alors l’incroyable proximité, l’extraordinaire dialogue entre toutes ces manifestations artistiques, sur toute la planète.
Cela confirmera, si on veut bien l’entendre, l’universalité et la spécificité de l’homme : vouloir donner du sens à son passage sur Terre. Et pour cela, parcourir la planète et y laisser la trace la plus personnelle, la plus vraie possible.
À un moment où menace, plus que jamais, la victoire du laid, du faux, de l’artificiel et de l’égoïste, n’oublions pas que nous sommes d’abord les héritiers d’une très longue histoire du beau, du vrai, du vivant et de l’universel.
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Art, d’un bout à l’autre de l’Europe
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°511 du 16 novembre 2018, avec le titre suivant : Art, d’un bout à l’autre de l’Europe