Le métier de prescripteur est depuis toujours un métier essentiel. C’est le métier des enseignants, des libraires, des guides de musées, des galeristes, des critiques d’art, que de nous aider à choisir quoi lire, quoi voir, quoi entendre.
Dans ce monde encombré, d’aujourd’hui et de demain, rien ne sera plus important que d’avoir des prescripteurs, qui nous aideront à gagner du temps, à naviguer dans l’immensité des bibliothèques réelles et virtuelles qui nous entourent.
Les technologies d’aujourd’hui donnent une nouvelle dimension à cette prescription : les algorithmes savent de mieux en mieux prescrire ce qu’ils croient correspondre à nos goûts ou à ce que nous devons faire pour respecter quelques normes. Ils se plient à nos désirs et à nos besoins. Pas question, pour eux, de nous faire découvrir des choses qui nous surprennent. Non, ils ne font que nous ramener dans la « norme ». C’est ainsi qu’opèrent les sites d’achat en ligne. C’est même maintenant ainsi qu’opèrent aussi les sites de rencontres pour faire gagner du temps à ceux qui les fréquentent.
Il est essentiel d’en revenir à des choix plus humains, plus audacieux, moins attendus. De s’ouvrir à des cultures inattendues, inconnues, lointaines, auxquelles a priori rien ne nous prépare a priori. En particulier en matière d’art. Et pour m’être exercé, dans un livre à paraître dans les prochains jours, (Les Chemins de l’Essentiel, éditions Fayard) à établir les listes des dix, trente et cent romans, puis films, œuvres musicales et œuvres d’art essentielles, de toutes les cultures du monde, que chacun devrait connaître, pour son plus grand bien, j’encourage chacun à en faire autant pour lui et pour les autres : rien n’est plus éclairant que d’établir ses propres listes ; puis de faire surgir les choix préférés de ses proches, ou de ceux qu’on aimerait mieux connaître. Rien n’est plus merveilleux que de faire découvrir des chefs-d’œuvre à ceux qu’on aime.
On peut même se risquer à un autre exercice : sur le modèle des listes de ce qu’il ne faut ni manger, ni boire, (aussi délicieux et tentant que cela soit,) il est possible d’établir la liste des œuvres supposées majeures que l’on conseille fortement de ne pas perdre son temps à lire, à voir ou à écouter. Il est assez prévisible de recommander de voir Guernica, d’écouter la Symphonie no 9 de Beethoven ou de lire Guerre et Paix. Il est plus difficile d’aller jusqu’à 100, pour toutes les catégories, pour toutes les cultures. Sans doute est-il plus controversé d’afficher les chefs-d’œuvre, reconnus comme tels, que l’on n’aime pas. Affronter un consensus est plus difficile que de le conforter. Je m’y risque aussi, dans le livre cité plus haut : je recommande chaleureusement de ne pas lire Ulysse de James Joyce, dont j’adore Les gens de Dublin ; de ne pas écouter LeMarteau sans maître de Pierre Boulez, si génial chef d’orchestre ; de ne pas s’attarder sur une œuvre récente de Damien Hirst ; et d’éviter Oncle Boonmee, l’ahurissante palme d’Or en 2010 du festival de Cannes, pourtant en général si perspicace.
Ces deux listes (les favoris et les détestés) ne sont pas forcément cloisonnées : comme il peut arriver de tomber amoureux de quelqu’un que l’on a d’abord détesté, une œuvre d’abord rejetée peut finir par entrer dans notre panthéon personnel. De fait, l’un n’est pas si éloigné de l’autre : en art, comme en amour, tout est émotion, et rien n’est pire que l’indifférence.
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Aimer, détester, négliger
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°500 du 27 avril 2018, avec le titre suivant : Aimer, détester, négliger