MUSÉES. Dans son dernier ouvrage, Maurice Godelier rappelle que « dans toutes les religions, la mort n’est pas la fin de la vie. La vie continue après la mort (1) ».
L’anthropologue précise que toutes les sociétés ont des règles concernant la mort de leurs proches, comme la période de deuil à respecter en leur mémoire.
Pour assurer leur mémoire, des collectionneurs ont légué leurs biens à des institutions mais, parfois, ils en ont assorti des conditions si rigides qu’elles figent pour l’éternité leur présentation au public. Réinterpréter aujourd’hui l’écrit d’un mort semble sacrilège, même si les testaments peuvent être contestés en justice. Cependant, plus d’un siècle après le legs, alors que le contexte est éloigné de sa rédaction et que la gestion de cette donation post-mortem est assurée en partie ou en totalité par des fonds publics, est-il déshonorant de vouloir clore le deuil ? C’est ce que vient de juger la Commission britannique sur les organismes caritatifs, à propos de la Wallace Collection, ouvrant ainsi un nouveau chapitre à la vie de cette institution historique. En 1897, Lady Wallace lègue à la nation britannique une collection, précieuse pour ses peintures, mais également pour son mobilier et ses porcelaines. Elle stipule que cet ensemble, dont la gestion sera désormais assurée par des fonds publics, « doit être conservé dans son intégrité et sans être mêlé à d’autres œuvres d’art ». Pendant plus d’un siècle, cette condition est interprétée comme devant interdire tout prêt d’œuvre ou la présentation d’un objet extérieur à la collection. Ainsi, la Wallace Collection, pourtant située au cœur de Londres, est-elle demeurée une île dans l’île et son actuel directeur, Xavier Bray, déplorait de devoir mener une existence quasi monastique : s’interdire de rapprocher « ses » tableaux d’autres du même artiste, de pouvoir rassembler différentes versions… Quant au visiteur, après la jouissance d’une visite, il était peu motivé à revenir fréquemment dans un établissement momifié.
Le souhait d’une autre institution, la National Gallery, d’exposer l’année prochaine, ensemble pour la première fois depuis plus de trois cents ans, la série des six peintures «Poésie» de Titien a motivé la volonté de Xavier Bray de saisir la Commission britannique. Dans ce cycle inspiré des Métamorphoses d’Ovide, commandé à Titien par Philippe II d’Espagne et vendu ensuite pour partie aux États-Unis et en Grande-Bretagne, seul aurait manqué, Persée et Andromède conservé à la Wallace Collection. Son directeur a fait valoir que Sir Richard Wallace – héritier de quatre générations de collectionneurs, époux de la veuve restrictive – était, lui-même, fier de pouvoir prêter largement des œuvres à d’autres institutions, à Londres ou Paris. La Commission a dû considérer également que le contexte du legs était différent aujourd’hui : Lady Wallace redoutait que la collection soit absorbée par la grande voisine de Trafalgar Square, la National Gallery. Ce danger n’existe plus. Xavier Bray, comme le conseil d’administration, assure que chaque demande de prêt sera examinée avec la plus grande attention et qu’un accord sera rare. Faisons confiance à ces trustees, bien différents de leurs homologues américains.
Une révolution s’est donc produite à Londres. En France, la deuxième collection de peinture ancienne après celle du Louvre est abritée au Domaine de Chantilly. Là, elle est bénéficiaire, mais tributaire du duc d’Aumale, Henri d’Orléans. En 1886, ce fils du roi Louis-Philippe l’a donnée à l’Institut de France, sous réserve qu’elle soit accessible au public, mais qu’elle ne puisse être ni prêtée, ni altérée dans sa présentation du XIXe siècle. Immuable, ad vitam aeternam ?
(1) Maurice Godelier, Fondamentaux de la vie sociale, CNRS Éditions, Paris, 2019.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Ad vitam aeternam ?
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°534 du 29 novembre 2019, avec le titre suivant : Ad vitam aeternam ?