Musée

Accrochage du Louvre : l’école est finie ?

Par Emmanuel Fessy · Le Journal des Arts

Le 2 janvier 2025 - 584 mots

En 2017, Emmanuel Macron annonçait à Ouagadougou (Burkina Faso) vouloir favoriser un retour du patrimoine africain dans les cinq années suivantes.

Depuis, seulement 26 objets ont été restitués au Bénin ainsi qu’un sabre au Sénégal. Le projet de loi-cadre tant annoncé, devant éviter des législations au cas par cas, attend toujours son inscription à l’ordre du jour du Parlement. L’imbroglio politique actuel ne le favorise pas.

Pourtant, comme beaucoup d’intellectuels africains, Souleymane Bachir Diagne ne manifeste pas agressivement son impatience, comme il ne réclame pas que nos musées soient vidés de leurs chefs-d’œuvre. Invité de la Chaire du Louvre à la fin de l’année dernière, il incitait son auditoire à porter un autre regard sur les œuvres exposées dans cet établissement, au Pavillon des Sessions, celles d’Afrique, d’Asie, d’Océanie et des Amériques déposées par le Musée du quai Branly. Il réfute le terme de victimes, les qualifie de mutants. Elles ont acquis une force de transformation. Durant leur exil, des rhizomes ont poussé. Elles parlent toujours la langue des dieux mais aussi celle du pays d’emprunt. La question d’une éventuelle restitution doit être posée, mais elle est d’ordre juridique. Le philosophe sénégalais et professeur à l’université Columbia (New York) rejoint l’ancien directeur général de l’Unesco (1974-87), Amadou-Mahtar MBow, qui conseillait de se concentrer sur « les objets manquant cruellement ». Souleymane Bachir Diagne accueille donc favorablement le grand chantier qui doit cet automne briser l’isolement du Pavillon des Sessions et y présenter des rapprochements entre masques, sculptures, statues de ces autres continents avec des pièces des collections du Louvre. Il a été conquis par l’exposition The African Origin of Civilization, conçue par le Metropolitan Museum of Art de New York, associant des œuvres de l’ancienne Égypte à d’autres d’Afrique (décembre 2021- octobre 2024).

Il serait décevant que le Louvre se contente de favoriser seulement un dialogue entre certaines de ses œuvres et d’autres inscrites sur les inventaires du Musée du quai Branly. Il devrait aller plus loin. Le réaménagement du Pavillon des Sessions pourrait être le prélude à une refonte générale de l’accrochage du musée. Le Grand Louvre porte bien son nom puisque depuis 1989 il offre plus d’espace aux collections. Mais pour autant, le Louvre n’a changé ni son organisation en départements autonomes (sept à l’époque, neuf aujourd’hui) ni son accrochage des œuvres par écoles nationales. Ainsi en peinture, les tableaux sont toujours séparés en école française, écoles du Nord (Flandre, Pays-Bas, Allemagne), italienne, espagnole, etc. Ces séparations n’ont pas été toujours la règle, puisqu’en 1793, le Museum central des arts de la République – première appellation du Louvre – défendait un« arrangement » qualifié de « parterre de fleurs variées à l’infini ». « Si nous avions séparé les écoles, nous aurions pu contenter quelques érudits ; mais nous aurions craint le reproche bien fondé d’avoir fait une chose inutile », se justifiait la Commission du Museum. Une autre révolution, celle de 1848, y met fin. L’idée d’école nationale s’impose. Aujourd’hui, une histoire de l’art trop nationale est critiquée, tant les échanges, les voyages d’artistes en Europe ont été fréquents, les connaissances partagées. Poussin est de nationalité française mais n’a-t-il pas passé la majeure partie de sa carrière à Rome ? Comme d’autres musées l’ont déjà fait – la National Gallery de Londres dès 1991 –, il serait bon que le Louvre remette en cause son accrochage par écoles, qu’il favorise au moins par des carrefours la transnationalité, reconnue aujourd’hui. Il y réfléchit. Alors, l’établissement ne serait plus seulement le Grand Louvre, mais deviendrait le nouveau Louvre, que nous attendions.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°646 du 3 janvier 2025, avec le titre suivant : Accrochage du Louvre : l’école est finie ?

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