PARIS
Le Grand Palais livre une rétrospective assez convenue du peintre du XVIIe siècle espagnol, mais que la solidité du propos et la provenance des œuvres rendent exceptionnelle.
Le parcours est classique, pour ne pas dire académique. L’exposition construite par Guillaume Kientz, jeune conservateur au Louvre, déroule dans les Galeries nationales du Grand Palais le fil chronologique et sans surprise – ou presque – de la carrière du peintre espagnol, de sa formation dans l’atelier de Pacheco à son influence sur les velazqueñoz (ses émules). Comme il se doit lorsque l’on approche Velázquez (1599-1660), le propos de l’exposition est découpé en thèmes somme toute assez attendus : la formation à Séville, les voyages en Italie, les portraits de cour… Disons-le franchement, la rétrospective offerte par Paris au plus grand peintre espagnol manque de panache ; elle peine notamment à toucher le génie du peintre hidalgo, comme peut le faire l’exposition Rembrandt actuellement à l’affiche du Rijksmuseum. L’exposition est-elle pour autant ratée ? C’est tout le contraire. En réunissant près d’une soixantaine d’œuvres de (ou attribuées à) Velázquez, alors que la France compte moins de tableaux du peintre que de doigts sur une main, Kientz réalise un remarquable tour de force. Certes, Les Ménines ou La Reddition de Breda n’ont pas fait le voyage, mais d’autres chefs-d’œuvre sont là, comme la Vénus au miroir ou le Portrait du pape Innocent X. De nouvelles attributions sont même tentées, comme Le Père Simon de Rojas sur son lit de mort que le commissaire croit de la main de Carducho. L’accrochage parvient aussi à replacer le peintre dans le contexte du baroque espagnol – moins connu, en France, que son pendant italien –, certains rapprochements se montrant éloquents, à l’instar des saint Pierre peints à la même période par Tristán, Maíno et Velázquez. Au final, c’est toute une période de la peinture espagnole qui bénéficie au Grand Palais de la lumière de Velázquez, dont l’étoile ne risque pas de s’éteindre…
Baltasar Carlos, l’espoir brisé
L’infant Baltasar Carlos, né en 1629, représente pour Philippe IV l’espoir dynastique tant attendu.
Velázquez réalise plusieurs portraits du garçon, majoritairement en pied. Mais pour ce portrait équestre, symbole même du pouvoir royal, tous les codes de représentation appliqués aux portraits de son père y sont utilisés. L’enfant décèdera à l’âge de 16 ans, plongeant les Habsbourg d’Espagne dans l’angoisse de la succession.
Le second séjour italien
En 1647, Velázquez effectue un second voyage en Italie. Cette fois-ci, il ne s’agit plus de découvrir les maîtres italiens, mais de rapporter au roi d’Espagne des antiques pour décorer le palais de l’Alcazar à Madrid. Après un passage à Venise, il séjourne à Rome où il réalise ce Portrait du pape Innocent X, l’un des grands chefs-d’œuvre de l’histoire du genre. Daté de 1650, ce tableau, dont tout le monde a en tête les réinterprétations peintes par Francis Bacon au XXe siècle, fascine par sa palette chromatique et le réalisme avec lequel le visage du souverain pontife est traité, rappelant la virtuosité du portrait de Paul III par Titien.
Vision sacrée, vision profane
En 1629, Velázquez obtient du roi Philippe IV de se rendre en Italie pour y parfaire sa culture. Son parcours doit le mener à Rome, en passant par Venise, Gênes, Ferrare, Florence et Modène. Avec les nombreuses lettres d’introduction qui lui avaient été remises, il peut accéder au Vatican et se délecter des chefs-d’œuvre qui y sont accumulés. Il découvre aussi l’effervescence artistique qui règne alors à Rome. Délaissant les sujets qui avaient fait sa réputation à Séville, il se frotte au grand genre : la peinture d’histoire. Il réalise ainsi deux toiles, une au sujet profane tiré des Métamorphoses d’Ovide : La Forge de Vulcain ; la seconde au sujet religieux : La Tunique de Joseph. Velázquez met en pratique dans ces deux tableaux ce qu’il a pu admirer chez les Italiens, notamment dans l’utilisation de couleurs claires, de la mise en mouvement des corps qui rend plus dynamiques les scènes représentées et surtout le rendu de la lumière, plus subtil qu’à ses débuts.
Ses deux toiles seront achetées par Philippe IV et rapatriées à Madrid en 1634.
Aristocratie du peuple
Portraitiste des grands d’Espagne, recherché pour son talent, Velázquez doit ses innovations à ses expérimentations sur des sujets plus humbles.
C’est ainsi qu’il réalise plusieurs portraits de saltimbanques. Ici est représenté Pablo de Valladolid, un comédien. L’expression du visage et les gestes sont beaucoup plus libres que pour les portraits de cour.
La période sévillane
Œuvre de jeunesse, réalisée vers 1619, soit deux ans après avoir obtenu sa licence de peintre, ce saint Thomas devait probablement faire partie d’un apostolado (série traditionnelle de portraits d’apôtres).
Le tableau présente déjà les caractéristiques typiques de la période sévillane de Velázquez et qui feront sa réputation : traitement de la lumière sur les chairs, notamment du visage, goût pour le naturalisme, utilisation de gens du peuple comme modèles.
Lorsque l’on aborde la fin de l’exposition du Grand Palais, les œuvres de Velázquez se font plus rares, peu à peu remplacées par celles d’un certain Juan Bautista MartÁnez del Mazo. Gendre du maître, il est aussi l’un de ses élèves les plus doués. Velázquez, accumulant charges, faveurs et distinctions au sein de la cour d’Espagne, doit, pour assurer sa production, s’entourer d’apprentis. Del Mazo y semble très marqué par les réalisations de son aîné, notamment par Les Ménines, dont la composition l’inspirera pour l’une de ses toiles, La Famille de l’artiste. Mais comme le souligne Guillaume Kientz, dans le catalogue de l’exposition, « si, à juste titre, La Famille de l’artiste évoque immédiatement Les Ménines, la relation qui la lie au célèbre tableau du Prado pourrait aussi résumer la place qu’occupe Del Mazo par rapport à Velázquez : sans lui, il ne serait rien ; à ses côtés, il paraît peu de chose ». Cruelle, cette remarque ne fait que rendre évident ce sentiment d’inégalité qui effleure le visiteur en voyant les toiles des deux artistes.
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Insurpassable Velázquez !
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°679 du 1 mai 2015, avec le titre suivant : Insurpassable Velázquez !