PARIS
Depuis deux ans, la Biennale des antiquaires sillonne le monde à la rencontre des riches collectionneurs de la planète. Objectif, les convaincre de venir à Paris en septembre. Une stratégie volontaire mais coûteuse qui a valu sa tête à son initiateur.
Des pâtisseries en hommage au XVIIe siècle français, d’autres à Claude Lalanne, à Cartier ou encore à Niki de Saint Phalle ou Keith Haring… En ce début de printemps, à l’occasion de l’élégant cocktail dînatoire qu’elle a organisé dans sa demeure, Tania Derani a fait appel à Isabella Suplicy, l’une des meilleures pâtisseries brésiliennes, pour créer de surprenantes miniatures d’œuvres d’art en sucre. Son but : promouvoir l’une des plus prestigieuses foires d’art et d’antiquités, la Biennale des antiquaires.
Ambassadrice de l’événement au Brésil, celle qui forme avec son époux Marcos Derani un des couples les plus en vue de la haute société de São Paulo, a invité dans sa somptueuse maison les personnes les plus en vue du monde de l’art brésilien, collectionneurs, marchands, bijoutiers et directeurs de musée pour une soirée mondaine en l’honneur des représentants de la Biennale des antiquaires et de la culture française qu’elle incarne – dont l’ancien ministre de la Culture Renaud Donnedieu de Vabres, qui accompagne la délégation française. « Notre rôle, en tant qu’ambassadeurs de la Biennale, est de partager et répandre le plaisir de la beauté. Les collectionneurs brésiliens sont très excités à l’idée de découvrir la prochaine édition et sa scénographie », confie Tania Derani. Car la Biennale des antiquaires, qui se tient ce mois-ci du 11 au 21 septembre sous la verrière du Grand Palais à Paris, ne se contente pas d’ouvrir ses portes et d’attendre : tout au long de l’année, le Syndicat national des antiquaires (SNA), organisateur de l’événement, a sillonné le globe, s’appuyant sur des « ambassadeurs » nommés pour organiser cocktails et déjeuners ou dîners de gala concoctés par les plus grands chefs cuisiniers. Avec pour mission de rencontrer les journalistes et, surtout, de convaincre les plus grands collectionneurs de la planète de prendre leur avion direction Paris et sa Biennale des antiquaires.
A la pêche aux collectionneurs
Sur le papier, cette stratégie consistant à aller au-devant des collectionneurs était pertinente, la majorité des antiquaires membres du SNA l’ayant d’ailleurs approuvée… Jusqu’à ce coup de tonnerre, tombé dans la nuit du 30 juin dernier : Christian Deydier, le président du Syndicat, était révoqué de ses fonctions, remplacé par Jean-Gabriel Peyre au poste de président par intérim, deux mois seulement avant l’ouverture de l’événement. En cause, « des engagements financiers et contractuels pris unilatéralement », selon le communiqué du SNA, auxquels s’ajoute « l’obstruction d’informations [et une] ambiance délétère… » Car une telle stratégie engage des dépenses conséquentes – on parle de 2,5 millions de dollars ! –, elle doit donc être suivie d’effets. « Or, au fur et à mesure, l’écart s’est creusé entre le discours sur la qualité et le résultat. En 2012, le niveau de la Biennale n’était pas terrible », se risque un antiquaire. « Dépenser de l’argent, oui, mais il faut que cela en vaille la peine. Ce n’est pas la stratégie qui est en cause mais son opacité », souligne ce membre du SNA, avant de poursuivre : « Il ne suffit pas de faire augmenter les prix des stands de la Biennale, encore faut-il nous rendre des comptes avant. »
Rendre des comptes… Le tour du monde sera-t-il à l’avenir remis en cause ? Pas sûr. « C’est une bonne stratégie. Le prochain président du SNA devra la perpétuer. Il faut se battre pour qu’il y ait des salons de très haute qualité et en faire la promotion », estime un autre membre du syndicat. « Auparavant, on invitait environ trois cents journalistes pour leur montrer le Grand Palais vide et leur expliquer que là se tiendrait la Biennale… Je me suis dit qu’il fallait faire plus. En se déplaçant dans des villes clefs, on touche infiniment plus de personnes, journalistes et collectionneurs », expliquait peu avant sa révocation Christian Deydier, qui, avec son équipe, avait ciblé une vingtaine de villes, de Madrid à Pékin, en passant par New York, Mexico, Sao Paulo, Istanbul et Moscou. Le critère de sélection de ces destinations ? Présenter des potentialités et un intérêt pour le marché occidental. « Nous ne sommes plus dans un monde où l’on attend tranquillement que les clients poussent la porte de la galerie : ils sont souvent moins éduqués et disposent de moins de temps. Il faut les attirer à nous », précisait le président du SNA. L’équipe de la Biennale s’est donc mise en relation avec ambassades et consulats – la foire participe en effet au rayonnement culturel de la France. Mieux, elle a désigné dans chaque ville cible un « ambassadeur » de l’événement, soigneusement choisi grâce à ses puissants réseaux. « J’ai été contacté par des amis très chers, Eugenio López, le fondateur de la collection Jumex, à Mexico, également nommé ambassadeur de la Biennale, et Veronica Gonzales, nièce d’une des plus importantes collectionneuses d’art mexicain ancien », confie Daniel Liebsohn, l’un des plus importants antiquaires du Mexique. Collectionneur et concepteur d’intérieurs, il a également participé à de nombreux projets muséographiques et curatoriaux. « Mon rôle a été de relier ces différents univers, que je connais parfaitement, et y promouvoir la prochaine Biennale de Paris », indique celui qui a pour cela ouvert sa maison où se trouve sa collection particulière, réunissant les plus grands collectionneurs du pays autour d’un grand dîner. Et ces derniers ont également été conviés par le Musée Jumex, qui vient d’ouvrir ses portes, à un cocktail sur sa terrasse, où le maître des lieux, Eugenio López, important mécène de l’art contemporain au Mexique, leur a mis l’eau à la bouche en leur présentant la prochaine édition de la Biennale… « Nous buvons, partageons et discutons de la Biennale », s’amuse Christian Deydier. Et, apparemment, la sauce prend. « En 2012, pour le dîner de gala, nous avions reçu mille deux cents invités, dont quatre cent cinquante venaient pour la première fois, grâce à notre tour du monde », indique Deydier. Mais la destitution du président change la donne. « Comment les choses vont-elles se passer pour le dîner de gala étant donné que ce sont les invités de Christian Deydier ?», se demande l’un des membres. La question reste en suspens.
Cap sur le continent asiatique
Sur un marché de l’art international de plus en plus concurrentiel, qui ne cesse de s’étendre et se mondialiser, l’enjeu est essentiel. Parmi ces nouvelles places du négoce de l’art, l’Asie. Et c’est à Hongkong que la Biennale des antiquaires a donné le coup d’envoi de son périple asiatique, avant de s’envoler pour Shenzhen, Shanghai, Pékin, Taipei, Kuala Lumpur, Singapour, Jakarta et enfin Tokyo. De fait, grâce à des taxes presque inexistantes, Hongkong est devenue une plate-forme du marché de l’art et un pont culturel pour les Chinois désireux de s’ouvrir aux réseaux occidentaux. Une étape qui était donc cruciale pour Christian Deydier, par ailleurs spécialiste des arts asiatiques. L’ambassadrice de l’événement sur place ?
L’une des actrices taïwanaises les plus populaires, Lynn Hsieh, grande amatrice d’art et marraine de nombreux événements caritatifs. Elle a mobilisé son énergie et ses ressources financières pour « promouvoir l’art et l’échange culturel généré par la Biennale des antiquaires » et communiquer sa passion pour les arts, les antiquités et la haute joaillerie. « Nous avons mis de longs mois à préparer notre dîner VIP, afin de créer une soirée exceptionnelle, chaleureuse, élégante, poétique et promouvoir la Biennale de Paris, ce rendez-vous pour les amateurs d’art et de culture », rapporte Lynn Hsieh. À cette occasion, le joaillier Wallace Chan – premier marchand chinois présent au Grand Palais pour la Biennale des antiquaires, depuis 2012, et actuellement unique représentant du marché asiatique au sein de la foire – a présenté ses pièces de haute joaillerie. Une faveur très appréciée des collectionneurs : depuis la participation du joaillier à la Biennale, en 2012, la foire a fortement gagné en notoriété sur le continent asiatique. Cette visibilité en Asie constitue un enjeu d’autant plus important que la Biennale des antiquaires et de la haute joaillerie entendait récemment s’implanter en Chine dès l’an prochain.
Se démarquer de la Tefaf
Une façon, aussi, de renforcer sa présence et sa notoriété sur la place du marché de l’art et de prendre une longueur d’avance sur ses concurrents, notamment la Tefaf, même si la Biennale de Paris prétend se positionner sur un parti pris différent. « La Tefaf de Maastricht est une prestigieuse foire d’art et d’antiquité, de très haut niveau. Mais par sa façon sans cesse renouvelée de regarder le passé, sa faculté de montrer les nouvelles tendances du collectionnisme et de son intégration au monde du design d’intérieur, la Biennale des antiquaires de Paris constitue un événement sans équivalent. Les propositions des antiquaires y sont sans doute plus surprenantes, bien que nombre d’entre eux participent aux deux événements », avance l’ambassadeur mexicain de la Biennale, Daniel Liebsohn. « C’est un événement qui n’a aucune comparaison possible, ajoute Cheska Vallois, et qui, pour une fois, est une initiative française. La Biennale n’a à se mesurer ni à Masstricht, ni à Bâle. Je voudrai, au contraire, que l’on amplifie son luxe, car c’est ce qui en fait un événement sans pareil. » Il n’empêche. Même si les représentants de la Biennale s’en défendent, le tour du monde mis en place par Christian Deydier constitue l’un des points clefs pour se démarquer de la Foire de Maastricht. « Des autocars entiers affluent à la Tefaf. Ce n’est pas ce que je cherche à faire.
En rencontrant le club des milliardaires de Shanghai – ils sont une douzaine – ou en allant serrer les mains des gros clients de Pékin, qui se demandent lequel de leurs avions ils prendront pour se rendre à Paris pendant que leurs épouses discutent des parures qu’elles porteront, je me situe sur un autre créneau », affirmait-il. Et de citer l’exemple d’un Ukrainien qui a acheté à la Biennale en 2012 un diamant de 22 millions d’euros et un autre de 7 millions d’euros. « Je préfère quelques clients de cette qualité, plutôt que des centaines d’amateurs aux moyens limités », indiquait l’ancien président. De plus en plus huppée et destinée aux richissimes happy few, la Biennale de Paris ? Peut-être. Avec son petit espace (6 200 m2 et quatre-vingt-quatre exposants, contre près de trois cents à la Tefaf), la foire ne cherche d’ailleurs pas à s’agrandir. La tendance serait même à une sélection de plus en plus drastique des exposants, mécontentant au passage des antiquaires parisiens. Avec, en contrepartie, le projet pour avril 2015 d’un nouvel événement, sobrement appelé « The Salon Paris », au Carrousel du Louvre, pour satisfaire les marchands d’art qui n’ont pu obtenir de la très sélecte Biennale des antiquaires d’entrer en son sein…
Le gorille de François-Xavier Lalanne
stand – na 6 La Galerie JGM, devenue depuis Galerie Mitterrand, avait déjà présenté des pièces de François-Xavier Lalanne (1927-2008) lors de la Biennale 2012. Elle revient cette année avec ce Gorille de sûreté qui cache, derrière la porte de son torse, un coffre fort. Un cœur imprenable ?
Tête en bronze d’athlète grec
phoenix ancien art – stand na 4 Installée à New York et à Genève, la galerie est l’une des plus réputées dans le domaine de l’archéologie et de l’art antique, provenant de la Mésopotamie, d’Égypte, de l’Empire byzantin, d’Europe centrale ou de Grèce, comme cette superbe tête.
La redécouverte de Stomer
moretti fine art – stand Sd 10 Peint dans les années 1630 par Matthias Stomer, ce Saint Matthieu est une redécouverte.Resté dans la même collection de 1806 à 2010, il a été réatttribué à ce peintre hollandais considéré comme l’un des meilleurs artistes caravagesques d’Utrecht.
Ce tableau, peint lors d’un séjour à Naples, fait partie d’une série représentant les quatre évangélistes.
Le meilleur d’Ossip Zadkine
galerie fleury – stand NA 12 Pour sa nouvelle participation à la Biennale, la galerie de l’avenue Matignon a sélectionné des chefs-d’œuvre du fauvisme et du cubisme signés Derain, Valtat, Lhote, Léger… et du sculpteur Zadkine, dont la galerie s’est fait la spécialiste.
L’excellence à la française
GALERIE CHADELAUD – STANd NC 4 L’antiquaire et décorateur Michel Guy Chadelaud défend les grandes signatures du XIXe, les Beurdeley, Linke, Grohé, Dasson, Sormani, Zwiener et Krieger, ainsi que les grandes maisons françaises comme la manufacture Christofle & Cie de laquelle est sorti ce superbe vase Anacréon.
La Biennale des antiquaires a confié la scénographie de sa 27e édition au plus renommé et distingué des architectes d’intérieur : Jacques Grange. Dans son style alliant avec élégance le classique et le contemporain, ce collectionneur d’art des XXe et XXIe siècles qui décora toutes les résidences d’Yves Saint Laurent a imaginé de revisiter sous la verrière du Grand Palais les jardins de Versailles.
Une mise en scène pour laquelle il a activement collaboré avec les jardiniers du château et du Trianon. « Dès sa première édition, en 1962, la scénographie était essentielle et contribuait au prestige de cet événement concentrant le raffinement de l’art de vivre à la française », observe Pierre Rainero, directeur artistique chez Cartier, maison qui participe à l’événement depuis 1964.
En 2012, Karl Lagerfeld avait imaginé d’accueillir les amateurs d’art et d’antiquités avec une montgolfière ancienne sous le dôme de la verrière, leur proposant une balade imaginaire dans les galeries marchandes façon XIXe siècle.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
La biennale, en tournée mondiale
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Du 11 au 21 septembre. Grand Palais, Paris. De 11 h à 21 h.
Nocturnes jusqu’à 23 h le jeudi 11, le mardi 16 et le jeudi 18. Fermeture à 19 h le dimanche 21.
Tarifs : 30 et 25 € pour une entrée, 80 € pour deux entrées et le catalogue.
www.sna-france.com
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°671 du 1 septembre 2014, avec le titre suivant : La biennale, en tournée mondiale