Sur le modèle de Cézanne à Aix, Nice fait de Matisse son ambassadeur culturel. Un choix qui se traduit par la mise en place d’un parcours dans la ville et par la programmation, en 2013, d’expositions phares.
Pour célébrer en grande pompe le cinquantième anniversaire du Musée Matisse, la Ville de Nice organise une vaste opération culturelle autour du peintre. Une programmation ambitieuse réunissant plus de sept cents œuvres, présentées dans huit expositions thématiques, orchestrées simultanément dans les musées de la cité azuréenne. Pour chapeauter cette entreprise, la municipalité a confié son commissariat général à Jean-Jacques Aillagon ; un choix judicieux puisque, grâce à l’entregent du très médiatique ancien ministre de la Culture et ex-président de Versailles, la Ville a réussi à obtenir des prêts prestigieux des plus grands musées, nationaux et internationaux, MoMA et National Gallery de Washington en tête.
À tout seigneur, tout honneur, c’est logiquement le Musée Matisse qui accueille l’exposition phare de cette saison culturelle : « Matisse. La musique à l’œuvre ». Une manifestation d’envergure, concomitante de l’inauguration de La Piscine, une œuvre monumentale en céramique, dernière donation en date d’un descendant du peintre, Claude Duthuit, disparu fin 2011. Une inauguration en forme d’hommage, donc, afin d’honorer les liens, autrefois distendus et aujourd’hui retissés, entre les ayants droit et la Ville de Nice, et de saluer la générosité de la famille Matisse dans la constitution de cette collection, qui compte soixante-huit peintures et gouaches découpées, cinquante-sept sculptures et près de cinq cents œuvres graphiques, ainsi que de nombreux objets personnels.
Objectif : dynamiser le réseau des musées niçois
« Étant donné l’importance de cet anniversaire, nous ne voulions pas nous cantonner à une grande rétrospective, mais mobiliser l’ensemble du dispositif muséal municipal autour de ce géant du XXe siècle », explique Olivier-Henri Sambucchi, conservateur en chef et directeur général adjoint de la Ville de Nice pour la Culture. Le circuit d’expositions inclut ainsi huit manifestations « conçues selon des thèmes matissiens, et en fonction de l’identité et des collections de chaque établissement », souligne Jean-Jacques Aillagon.
Trois manifestations se référent ainsi directement à son œuvre – au Musée Matisse, au palais Lascaris et à la Galerie des Ponchettes –, tandis que trois traitent de thèmes chers au peintre : le motif de la palme (auMusée Masséna), la question du nu (au Théâtre de la photographie et de l’image – TPI) et le thème de la piscine (au Musée d’archéologie). Enfin, deux expositions sondent l’ascendance et la postérité de Matisse : l’impact de l’enseignement de son maître, Gustave Moreau, sur son travail (au Musée des beaux-arts) et ses filiations à travers le pop art et la Figuration narrative (au Musée d’art moderne et d’art contemporain – Mamac). « Bien sûr, un des enjeux de ce parcours est de mettre en exergue la diversité, la densité et la qualité du réseau des musées municipaux », précise le commissaire général.
De fait, avec 700 000 visiteurs annuels, Nice s’impose comme la deuxième ville de France, après Paris, en ce qui concerne la fréquentation de ses musées municipaux. Une fréquentation qui présente cependant des disparités : tandis que le Musée Matisse attire 152 000 visiteurs, la Galerie des Ponchettes n’en accueille que 12 000. En favorisant une dynamique de réseau, les organisateurs de la saison Matisse espèrent ainsi doper la fréquentation des sites les moins plébiscités, en tirant parti de la visibilité conférée par ce prestigieux ambassadeur.
Une ambition politique : unir inextricablement Nice à Matisse
« Matisse a vécu trente-cinq ans à Nice et a passionnément aimé cette cité. Or, la Ville n’a jamais célébré ce lien à sa juste mesure. Aujourd’hui, en nous appuyant sur une programmation musclée, nous souhaitons fixer dans tous les esprits que Matisse et Nice sont liés de façon inextricable », avance le maire de la ville, Christian Estrosi. Pour matérialiser cette relation entre le peintre et la cité, la programmation allie, à cette riche offre muséale, un parcours urbain sur les pas de l’artiste ; afin de rappeler que, de la Promenade des Anglais au monastère de Cimiez, quantité de sites niçois sont historiquement attachés à Matisse.
Dans cette balade matissienne, quatre étapes se distinguent par leur importance dans la vie et l’œuvre du peintre. Tout d’abord, son premier lieu de résidence à Nice, l’hôtel Beau Rivage, où il prend une chambre en 1917, espérant y retrouver l’éblouissement qu’il avait ressenti lors de sa première visite sur la Côte d’Azur, douze ans auparavant. La magie opère de nouveau, et la lumière et la douceur de vivre méditerranéennes lui inspirent nombre de chefs-d’œuvre, dont Intérieur au violon. Désireux de s’installer durablement à Nice, Matisse loue ensuite, au cœur de la vieille ville, un appartement, dont la décoration intérieure, notamment le papier peint à larges motifs, devient un élément récurrent de ses tableaux, à l’instar de L’Odalisque au coffret rouge.
En 1938, il change encore de quartier et emménage dans l’ancien Hôtel Régina. Dans cette perle de l’architecture Belle Époque, située sur les hauteurs de la ville, il crée un appartement-atelier où, malgré la maladie, il continue inlassablement de travailler. Après s’y être éteint en 1954, Matisse est inhumé à quelques encablures de là, au cimetière de Cimiez, au sein du monastère où il aimait tant se promener.
Imposer la cité azuréenne comme une destination culturelle
Cette stratégie de valorisation des liens qui unissent un artiste à une ville, n’est pas sans rappeler les grandes célébrations mises en place, en 2006, pour le centenaire de la disparition de Cézanne à Aix-en-Provence ; un modèle d’ailleurs totalement assumé. « Quand on évoque Aix, on pense immédiatement à Cézanne, nous espérons que bientôt le lien entre Matisse et Nice sera tout aussi évident », confie son édile. Il faut dire que la ville natale de Cézanne a marqué les esprits en organisant une foule d’événements dédiés à l’illustre enfant du pays : expositions d’art contemporain, parcours sur les traces du maître, ainsi qu’une grande rétrospective qui a accueilli 440 000 visiteurs, une performance pour une exposition régionale. Les retombées économiques globales avaient dépassé toutes les attentes, dégageant 65 millions d’euros pour la ville et sa région. « Outre sa rentabilité» , estime le directeur d’un musée des Bouches-du-Rhône, « l’année Cézanne a surtout contribué à améliorer l’image de marque d’Aix, à la consacrer comme la grande ville culturelle du département. »
À Nice, l’équation est sensiblement la même, la Ville ayant trouvé en Matisse un ambassadeur culturel de choix : une superstar de l’art moderne, passionnante mais suffisamment consensuelle pour attirer un large public, local et touristique. Car la finalité de ce projet est aussi, évidemment, d’imposer la ville comme une grande destination artistique, ce qui, malgré la richesse de son patrimoine et des musées, n’est actuellement pas le cas. Or, aujourd’hui, patrimoine et culture sont, plus que jamais, vecteurs d’attractivité touristique, et en se forgeant une solide image culturelle, Nice espère bien accroître son rayonnement et se démarquer des autres stations azuréennes. D’ailleurs si l’été Matisse remporte le succès escompté, la municipalité nous a confié qu’elle envisage, d’ores et déjà, d’organiser tous les deux ans de grands événements, impliquant l’ensemble de son réseau muséal autour d’une personnalité de la scène artistique niçoise.
Jazz Violoniste à la fenêtre ou encore Petite Pianiste, robe bleue … l’œuvre d’Henri Matisse regorge de tableaux évoquant l’univers musical ; qu’il s’agisse de la représentation littérale de scènes de musique, de portraits poétiques d’instruments ou encore d’œuvres dégageant une musicalité intrinsèque. « Certes la musique et la couleur n’ont rien de commun, mais elles suivent des voies parallèles », avançait d’ailleurs le maître, s’inscrivant ainsi dans une réflexion sensuelle et intellectuelle qui a irrigué la pensée de nombreux artistes de son temps, dont Klee et Kandinsky.
Des prêts majeurs
Selon Marie-Thérèse Pulvénis de Séligny, directrice du Musée Matisse et commissaire de la présente exposition, chez
l’artiste « notes et couleurs relèvent d’une même recherche d’expression » , ce qui explique, sans doute, pourquoi le peintre recourait volontiers à des termes musicaux – rythmes, variations, harmonies des couleurs – pour décrire son travail. La manifestation niçoise interroge cette relation singulière et intime qui unit Matisse à la musique en abordant différents thèmes : musique et danse, lignes et mélodies, Thèmes et Variations (du nom de la série de dessins, dont le peintre donna, de son vivant, quatre pièces à la Ville), mais aussi la sonorité de la couleur. Pour asseoir cette démonstration, l’exposition s’appuie sur quantité de prêts exceptionnels : La Tristesse du roi, qui n’a quitté les cimaises du Musée national d’art moderne qu’une fois depuis son entrée dans la collection, ou encore Intérieur au violon du MoMA.
Exposition « Matisse. La musique à l’œuvre », Musée Matisse, Nice (06), jusqu’au 23 septembre 2013.
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Nice mise sur Matisse
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°659 du 1 juillet 2013, avec le titre suivant : Nice mise sur Matisse