Dans une passionnante mais discutable biographie sur le peintre hollandais, deux auteurs américains s’en prennent à la légende qui entoure Van Gogh et remettent en cause la thèse officielle du suicide pour celle du meurtre.
Enfin. Enfin, la biographie sur Vincent Van Gogh (1853-1890) qui a tant fait parler d’elle lors de sa sortie en 2011 aux États-Unis paraît aujourd’hui dans sa traduction française, chez Flammarion. Enfin ! Si en franchissant l’Atlantique celle-ci a été amputée d’un morceau de son titre – Van Gogh, The Life est devenu Van Gogh, intitulé moins définitif –, elle n’a rien perdu de ses 1 089 pages de la vie de Vincent ni de ses annexes, dont cette « Note sur la blessure mortelle de Vincent » qui a suscité le débat. Dans leur texte, Steven Naifeh et Gregory White Smith, historiens, journalistes et scénaristes, s’attaquent donc au mythe en dépeignant un Van Gogh sombre, cupide, instable, asocial et manipulateur. « La vie de Vincent ne tournait pas rond. Ou c’était Vincent qui ne tournait pas rond, écrivent les auteurs. [Ses parents] en revenaient toujours aux mêmes constats : Vincent ne savait pas se faire de relations dans les bons milieux, il était incapable de soigner son apparence. Mais c’était surtout son attitude qu’ils mettaient en cause […]. Si seulement il avait “le cœur joyeux”, il ne serait pas si porté aux excès ; il pourrait “devenir quelqu’un de plus normal, de plus réaliste”. » Cette fois encore, les biographes construisent leur récit autour de la correspondance – unique dans l’histoire – laissée par le peintre à ses parents, ses amis et, bien sûr, à Théo, le frère qui a hérité de toutes les qualités dont était exempt Vincent. Comment leur en vouloir quand tous les exégètes du peintre se sont avant eux appuyés sur ces lettres depuis que Johanna Bonger, la veuve de Théo, travailla à son édition au début du XXe ? Par ailleurs, Naifeh et White Smith sont les premiers à avoir bénéficié d’un matériel de première main : l’édition critique illustrée en six volumes des lettres de Vincent (parue en France chez Actes Sud en 2009), fruit du projet « Lettres de Van Gogh » cornaqué par le Van Gogh Museum d’Amsterdam. Tout en convoquant d’autres sources, comme cette lettre dans laquelle son père Theodorus écrit à son autre fils Theo : « Entre nous, je crois à une maladie, soit du corps, soit de l’esprit. »
Un meurtre accidentel
Iconoclaste donc, le Van Gogh de Naifeh et White Smith, dans la lignée des biographies américaines, comme le Picasso, créateur et destructeur d’Arianna Stassinopoulos-Huffington. Pourtant, ce Van Gogh-là n’est pas sans qualités, à commencer par celle d’accorder une place aussi importante à la période qui précède « les années françaises » – autrement dit, toutes les années avant 1886 ! –, si souvent ignorée des historiens. Il faut également saluer les qualités littéraires de cette enquête – les auteurs ont remporté le prix Pulitzer pour un livre comparable en 1991 : Jackson Pollock, une saga américaine – qui s’attaque à certaines lignes de l’histoire pour les faire bouger, comme celle qui fit du jeune employé de la société Goupil & Cie à Londres (où Vincent fut envoyé en punition) un amoureux d’Eugénie Loyer, la fille de sa locataire qui, en se refusant à lui, l’aurait rendu « si sensible à la souffrance des autres ». « La réalité était autrement prosaïque », analysent les biographes.
Alors parfois les lignes bougent-elles trop loin, comme celle qui remet en question le suicide par balle du peintre, décès communément admis, mais autour duquel les auteurs relèvent des « zones d’ombre ». « C’était et cela reste un récit satisfaisant, notent-ils en annexe. Il fournit une fin tragique qui convient parfaitement à une vie indéniablement tragique : un artiste instable, en mal de reconnaissance, cherche à échapper à l’indifférence que lui témoigne le monde en se supprimant. » Mais pour Naifeh et White Smith, il ne fait aucun doute que les auteurs de la blessure mortelle sont deux jeunes gens, René et Gaston Secrétan, qui à Auvers-sur-Oise avaient fait du peintre hollandais leur souffre-douleur. La fin d’une histoire que les spécialistes du peintre sont loin d’admettre…
Flammarion, 1 231 p., 39 €.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°663 du 1 décembre 2013, avec le titre suivant : Vincent Van Gogh mort ou vif