L’événement parisien est l’aboutissement d’années de recherches sur cette phase cruciale de la vie de l’artiste. Le chercheur Wouter van der Veen, l’un des meilleurs spécialistes du peintre, nous raconte ce qu’il a réussi à découvrir.
L’Institut Van Gogh possède de longue date un cadre ancien emballé dans de vieux journaux. J’ai étudié cet objet et retracé sa généalogie : il a été offert par le menuisier qui habitait en face de la maison du docteur Gachet. J’ai découvert qu’il portait encore une étiquette de la collection du médecin indiquant « Vincent Van Gogh, Chaumes à Montcel ». De fait, il s’agit du cadre utilisé en 1905 pour l’exposition des Indépendants à Paris, et pour la mythique rétrospective organisée la même année à Amsterdam par Johanna Bonger, la veuve de Theo.
Gachet accordait une grande importance à l’encadrement des tableaux de Vincent, car il savait que cette question intéressait beaucoup l’artiste. Celui-ci avait même rapporté de Saint-Rémy-de-Provence un cadre vert qu’il utilisait comme passe-partout pour tester l’effet de ses toiles. Or, quand nous avons fait l’essai au Musée d’Orsay, il collait parfaitement. C’était bien le cadre de 1905 exécuté d’après le design particulier voulu par le peintre. Ce cadre très plat, très simple, modifie en effet la manière d’admirer sa peinture, car il fait exploser les couleurs. Le musée a été convaincu par cette découverte et a décidé d’exposer le cadre original, inutilisable pour des raisons de conservation préventive, mais aussi de réencadrer sur son modèle quatre tableaux : Les Chaumes de Cordeville, L’Église d’Auvers-sur-Oise, Les Deux Jeunes Filles et Le Jardin du docteur Gachet à Auvers.
Le docteur avait en effet une autre fille, une enfant naturelle dont on ne parle jamais. C’est un secret de Polichinelle, car sa photographie figure dans un album de famille mais son nom n’y apparaît pas. C’est l’historienne locale, Claude Millon, qui a deviné l’existence de Louise Joséphine Elisa Chevalier, fille de la gouvernante de la maison Gachet. La présence de cette sœur aînée invalide totalement la thèse d’un amour malheureux entre Marguerite Gachet et Vincent, avancée entre autres dans le film de Pialat comme une cause de sa mort. Car, avec la présence d’une sœur aînée dans les parages, une telle romance est totalement improbable. La fille cachée est aussi une information importante pour les historiens, car elle a pu servir de modèle à la Jeune Paysanne au chapeau de paille, dont les traits sont proches de son portrait.
C’est une découverte qui vous concerne aussi, car elle prend sa source dans un article du magazine L’Œil de décembre 1975 ! Une jeune chercheuse américaine, Marianna Burt, y publiait un article formidable sur le « pâtissier » Eugène Murer [collectionneur, mécène et pastelliste, ami des impressionnistes, NDLR]. Doctorante de l’historien d’art américain John Rewald, elle avait reçu de sa part un des carnets de Murer, dans lequel il détaillait sa rencontre avec Van Gogh. Il raconte aussi qu’il l’a aperçu le jour de son suicide se tenant le ventre en descendant du plateau derrière l’église, ce qui nous fournit un témoignage de première main. J’ai aussi exhumé une source de 1953 qui corrobore cet emplacement. Dans une archive inédite de l’Ina, on entend ainsi un conseiller municipal raconter : « Il s’était suicidé à 300-400 mètres du cimetière dans la plaine. » Or, l’idée couramment admise, c’est qu’il s’est donné la mort derrière le château, ce qui n’est pas du tout dans le même quartier.
En recoupant des informations, j’ai découvert qu’à l’époque, le manoir des Colombières, qui est proche du site des Racines, où Vincent a peint son ultime tableau, était également désigné comme un château. Et que le site des Racines était le plus court chemin entre l’auberge Ravoux, où il séjournait, et le champ le plus proche, où il a aussi peint le Champ de blé aux corbeaux. Cela fait donc plus d’un siècle qu’il y a un malentendu sur l’emplacement de sa mort. Or, cette dernière pièce du puzzle est extrêmement cohérente, car Vincent voulait en finir au milieu des blés au soleil couchant. Il a donc logiquement choisi le champ le plus proche. Contrairement à la thèse habituellement avancée, ce n’est donc pas un homme confus qui erre, encore moins un accident ou une mauvaise rencontre. C’est un acte décidé, réfléchi : il rentre à l’auberge, pose son tableau, prend son revolver et va tout droit au lieu qu’il a choisi. Tout ça est programmé. Se sachant malade et condamné, il choisit d’être pleinement acteur de sa mort.
CE QUI A DÉCLENCHÉ SES RECHERCHES
En décembre 1975, la doctorante Marianna Burt publie dans L’Œil un article dans lequel elle cite une rencontre entre Van Gogh et le collectionneur Murer. Cet article a constitué le point de départ des recherches sur le lieu exact du suicide du peintre.
Van Gogh réfléchissait à chaque détail, y compris à l’encadrement de ses peintures. Il avait imaginé un prototype au design très plat que le docteur Gachet a fait réaliser pour la rétrospective de l’artiste en 1905. Un exemplaire de ce cadre a été récemment identifié.
Wouter van der Veen a compris pourquoi l’actuel champ diffère du tableau. Le peintre a raccourci les plans horizontaux et réuni dans un même plan plusieurs points de vue. D’où cette pâte d’oie inexistante. Ce procédé optique explique le tracé triangulaire des parcelles et ce grand angle panoramique.
Le docteur n’avait pas une mais bien deux filles, Marguerite et Lisette, la fille naturelle qu’il a eue avec sa gouvernante. Cette dernière a certainement posé pour Van Gogh pour La Jeune Paysanne au chapeau de paille et Mademoiselle Gachet dans son jardin à Auvers-sur-Oise.
À la suite de ses longues investigations, Wouter Van der Veen estime que le lieu du suicide de Van Gogh peut être localisé dans le champ qui se situait derrière le manoir des Colombières. L’artiste a beaucoup peint cet endroit. C’est lui, par exemple, que l’on voit dans Les Racines ou dans L’Escalier à Auvers.
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Wouter van der Veen : « Depuis un siècle, on se trompe sur le lieu exact du suicide de Van Gogh »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°768 du 1 octobre 2023, avec le titre suivant : Wouter van der Veen : « Depuis un siècle, on se trompe sur le lieu exact du suicide de Van Gogh »