Alors que le marché de la musique enregistrée commence à sortir du marasme, les festivals ne se sont jamais aussi bien portés. Le rachat du festival Rock en Seine par l’homme d’affaires Matthieu Pigasse illustre la bonne santé du secteur.
Une « cartocrise » (cartographie d’un monde culturel en crise) nommée « Culture française tu meurs ! » recensait en 2015 les festivals menacés ou supprimés, en raison de la baisse des subventions des collectivités locales. Cette carte interactive pointait alors 200 festivals, structures et associations culturelles, ayant mis la clé sous la porte. Comme l’édition 2015 de Muzik’Elles, financée par la ville de Meaux à hauteur de 800 000 euros, « suspendue » par le maire. Fausse alerte ? Sans doute, car malgré cette alarme, les créations de festivals restent supérieures aux disparitions. Et le marché est en plein essor : 132 nouveaux festivals selon le Barofest 2016 ( 7 %), 1 887 festivals de musique actuelle, répartis sur 1 225 communes, 6 millions d’entrées payantes (avec des prix entre 150 et 200 euros pour voir des dizaines d’artistes en quelques jours pour les plus importants), 150 millions d’euros de recettes selon le Centre national des variétés. Rassemblement champêtre ou grand-messe rock, l’économie des festivals de musique aiguise aujourd’hui l’appétit des grands groupes, qui en rachètent ou en créent. Leur secret de réussite ? Mutualiser scènes, artistes, médias et logistique.
Matthieu Pigasse entre en scène
Dernière opération en date, l’acquisition de Rock en Seine (fin mars) par le patron de la banque Lazard France, passionné de rock, Matthieu Pigasse. C’est le quatrième plus grand festival (110 000 spectateurs en 2016), derrière Les Vieilles Charrues à Carhaix (278 000 billets vendus par l’association), Solidays à Paris (200 000 visiteurs) et Hellfest à Clisson (180 000 billets,). « Après quinze ans, notre projet se porte très bien, mais nous sommes parvenus aux limites de ce que nous pouvions réaliser seuls », analyse François Missonnier, qui reste directeur de Rock en Seine. Avec la crise des ventes de disques, le coût des cachets des artistes a explosé (passant de 1,70 M € à près de 4 M € en quelques années) et fait douter les organisateurs sur leur capacité future à convier des stars internationales.
« Ces investissements sont aussi des coups de cœur, je ne rachèterais pas Rire et Chansons ou Radio Nostalgie », s’amuse Matthieu Pigasse, spectateur assidu de Rock en Seine, et président des Eurockéennes de Belfort. Propriétaire du Festival des Inrocks, des Nuits Zébrées de Nova et de leurs magazines, actionnaire du quotidien Le Monde avec Xavier Niel et Pierre Bergé, Matthieu Pigasse étoffe ses investissements culturels via sa holding personnel LNEI (Les nouvelles éditions indépendantes) et sa nouvelle branche événementielle « LNEI Live » dont la direction est confiée à François Missonnier. « L’acquisition de Rock en Seine se situe au cœur de la stratégie de LNEI, qui veut devenir un leader de la production de contenu premium (...) D’une part, dans l’information, avec Le Monde, L’Obs, Nova et Cheek Magazine, d’autre part, dans l’audiovisuel avec notre participation dans Mediawan, créé avec Xavier Niel et le producteur Pierre-Antoine Capton, qui vient de racheter le groupe télé AB et vise une place de leader dans l’audiovisuel en Europe », précise Pigasse, qui a aussi acquis début avril, le label Rough Trade, créé à Londres en 1976 en plein mouvement punk. Un disquaire spécialisé ces derniers temps dans la vente en ligne de vinyles.
Live Nation, le géant américain
Mathieu Pigasse devra composer avec Live Nation, mastodonte des tourneurs américains qui organise des festivals dans plus de quarante pays, s’appuie sur ses 128 salles de concert pour faire monter sur scène leurs artistes (hausse du chiffre d’affaires de 15 % par rapport à 2015, atteignant les 8,4 milliards de dollars, 71 millions de spectateurs). Sa solide réputation s’est construite sur la gestion de grands groupes de rock, des Rolling Stones à U2. Il a débarqué en France en 2004 en créant Main Square à Arras, puis I love techno à Montpellier ou Download (festival rock et heavy metal britannique) à Paris. Et il lancera fin juillet à l’hippodrome de Longchamps Lollapalooza, déclinaison du mythique festival de Chicago créé en 1991, un rival pour ses concurrents français, avec les Red Hot Chili Peppers, Martin Solveig, Liam Gallagher. Le North Summer Festival se tiendra, lui, fin juin à Lille avec à l’affiche Sting, Justin Bieber et Ibrahim Maalouf.
Les grandes manœuvres continuent. Pascal Nègre, qui vient de lancer avec M6 sa société (#NP) s’est associé à Live Nation. Les Francofolies de La Rochelle et le Printemps de Bourges ont, eux, été rachetés en 2013 par Morgane Production, producteur audiovisuel et événementiel, filiale du quotidien régional Le Télégramme de Brest. « En tant que plus grand promoteur du monde et plus grande plateforme de billetterie, Live Nation est idéalement placé pour profiter de la croissance séculaire des concerts dans le monde », analyse Goldman Sachs qui encourage l’achat d’actions du groupe, cotées au Nasdaq. On ne pouvait pas mieux dire.
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Les festivals de musique ne connaissent pas la crise
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Abonnez-vous dès 1 €Concert du groupe australien Airbourne à Rock en Seine, édition 2014 © Photo : Nicolas Joubard / courtesy Rock en Seine
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°478 du 28 avril 2017, avec le titre suivant : Les festivals de musique ne connaissent pas la crise