Lors de la Seconde Guerre mondiale, le Japon s’est constitué un trésor de guerre. Le gouvernement américain s’en est largement servi pour financer certaines activités de la CIA.
Si les biens spoliés par les nazis dans les collections d’art européennes, puis leur vol et recel par les Soviétiques, sont notoires, les pillages commis en Asie par l’armée japonaise, à la même époque, restent méconnus. En effet, les victimes des Japonais vivaient dans des pays qui, pendant la majeure partie de la période qui a suivi la guerre, ont été déchirés par des révolutions, des mouvements anticolonialistes ou des guerres civiles. L’attitude américaine en est également responsable : alors que les États-Unis s’attelaient, après la défaite allemande, à la capture des criminels de guerre, à la dénazification de la population allemande et à la gestion des archives du régime nazi, le gouvernement américain a tenté après la capitulation du Japon d’exonérer l’empereur et son entourage de toute responsabilité dans le conflit.
Dans leur ouvrage l’Opération Lys d’or, Sterling et Peggy Seagrave retracent l’histoire complexe des pillages effectués par l’armée japonaise en Asie, ordonnés par la maison impériale, et décrivent la manière dont les Américains, en découvrant le butin, décidèrent de conserver la plupart des biens dans leurs propres intérêts politiques. Bien que les auteurs ne soient pas des spécialistes du Japon, et que leur livre comprenne quelques erreurs mineures, leur travail de recherche bénéficie d’une solide documentation disponible sur deux cédéroms, contenant quantité de documents, de cartes et de photographies que l’on peut acquérir sur un site Internet (1).
Tout débute avec l’occupation japonaise de la Chine pendant l’hiver 1937 et la saisie de quelque 6 000 tonnes d’or provenant du trésor de Tchang Kaï-Chek, des résidences et des bureaux des leaders du gouvernement nationaliste chinois. Sterling et Peggy Seagrave écrivent que l’empereur Hirohito avait nommé l’un de ses frères, le prince Chichibu, à la tête d’une organisation secrète appelée kin no yuri (Lys d’or), responsable du tranfert de ces richesses vers le Japon.
Avec la conquête japonaise de toute l’Asie du Sud-Est pendant l’hiver et le printemps 1941-1942, le Lys d’or débordait d’activité. Outre des devises issues des colonies hollandaises, britanniques, françaises et américaines, les équipes du Lys d’or dérobèrent les biens des populations chinoises, arrachant les décorations de temples bouddhiques et emportant les statues de Bouddha en or massif de Birmanie. C’est à Ipoh, en Malaisie, que l’or fut fondu en lingots – sur lesquels le degré de pureté et le poids étaient gravés.
Poule aux œufs d’or
Au début de la guerre, les transports vers le Japon se sont déroulés par bateaux, habituellement maquillés en navires-hôpitaux. De nombreux lots en or et des pierres précieuses furent néanmoins perdus lors de batailles navales engagées contre des sous-marins américains. Au début de l’année 1943, devant l’impossibilité pour les Japonais de forcer le blocus allié interdisant l’accès aux principales îles, excepté par sous-marin, Chichibu fut contraint de transférer ses quartiers généraux de Singapour vers Manille, et il ordonna à tous les convois de prendre la direction des Philippines. À cette époque, il estimait que la guerre s’achèverait sur une négociation, et que l’armée américaine céderait les Philippines au Japon en échange d’un cessez-le-feu.
À partir de 1942, Chichibu a dirigé la construction de 175 entrepôts « impériaux » aux Philippines pour cacher le butin jusqu’à la fin de la guerre. Des travailleurs forcés et des prisonniers de guerre creusèrent des tunnels et des galeries, avant d’être enterrés vivants, souvent aux côtés d’officiers et de soldats japonais pour garantir une discrétion maximale. Peu après la libération des Philippines, des agents spéciaux américains découvrirent quelques-unes de ces caches secrètes. Le général MacArthur mit Washington dans la confidence, et la Maison Blanche prit la décision de tenir secrètes ces découvertes. Elle attribua les fonds ainsi récoltés à différentes activités clandestines de la toute jeune CIA. L’agence gouvernementale se servit de cette poule aux œufs d’or pour remplir des caisses noires destinées à influer sur les politiques d’après guerre du Japon, de la Grèce, de l’Italie, de la Grande-Bretagne, entre autres pays.
Près de vingt ans plus tard, le dictateur philippin Ferdinand Marcos a mené une seconde chasse au trésor de guerre japonais. Il a personnellement supervisé l’ouverture d’au moins six caches, retrouvant près de 14 milliards de dollars en or. Cependant, il est presque certain qu’une grande partie des trésors se trouve toujours enterrée quelque part aux Philippines...
Chalmers Johnson est l’auteur de The Sorrows of Empire (Verso, 2004).
Une version de cet article est d’abord parue dans la revue London Review of Books du 20 novembre 2003.
Peggy et Sterling Seagrave, Opération Lys d’or, éditions Michalon, Paris, 2002, 440 p., 23 euros. ISBN 2-84186-160-0.
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Le trésor caché des Philippines
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°186 du 6 février 2004, avec le titre suivant : Le trésor caché des Philippines