Dans une version raccourcie – plus de 6 heures de spectacle –, le mythique et effrayant Soulier de satin retrouve les planches de la maison de Molière où la pièce a été créée en 1943.

Théâtre - Éric Ruf, l’administrateur de la Comédie-Française depuis 2014, n’avait déjà pas à rougir de sa direction de la grande institution. Mais celui qui devra quitter son poste à l’été prochain sort encore grandi de l’immense entreprise qu’il vient d’accomplir : présenter la pièce de Paul Claudel (1868-1955), cette œuvre-monde, sur les planches presque nues d’un plateau de théâtre. Il est inutile et vain de tenter de raconter l’intrigue des quatre journées qui forment une épopée de trente ans en pleine Renaissance espagnole, au temps de la conquête du Nouveau Monde. Une aventure où se développe l’amour impossible et absolu entre Rodrigue et Doña Prouhèze, l’épouse du gouverneur Don Pélage. Un « drame d’amour » largement autobiographique pour Claudel, qui lui avait déjà inspiré sa pièce Partage de midi (1906). Éric Ruf suit fidèlement les indications de mise en scène de Claudel, très audacieuses pour l’époque, la pièce étant écrite entre 1918 et 1924 : « Dans le fond, la toile la plus négligemment barbouillée, ou aucune, suffit. Les machinistes feront les quelques aménagements nécessaires sous les yeux mêmes du public pendant que l’action suit son cours. […] Il faut que tout ait l’air provisoire, en marche, bâclé, incohérent, improvisé dans l’enthousiasme ! » Si Ruf est bon élève, encore fallait-il être capable de suivre ces indications et de trouver son chemin dans les méandres cathartiques du Soulier de satin. Le metteur en scène donne à voir avec une grande clarté le combat entre l’appel de Dieu (ou l’absolu, comme on voudra) et celui du désir charnel, puis l’apaisement des âmes et des corps. Il fait comprendre comment le chemin vers le paradis, si limpide soit-il, est nécessairement entravé de péchés… Déroutante mystique claudélienne que le metteur en scène restitue avec humour (oui !), force et justesse, trouvant le point d’équilibre entre le ciel et la terre qui fait que le spectacle ne tombe ni dans la piété, ni dans la trivialité. Porté par une troupe au sommet de son art magnifiée par les costumes de Christian Lacroix, ce Soulier de satin nous embarque dans son interminable voyage, et ne laisse presque personne à quai.
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Le Soulier de satin de Paul Claudel, éblouissante traversée
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°783 du 1 mars 2025, avec le titre suivant : éblouissante traversée