PARIS
Deux ouvrages regardent comment le sexe se cache dans l’histoire de l’art occidental ou comment il se montre au Japon jusqu’au XIXe siècle. Un troisième se penche sur les amours des dieux vues par la Renaissance.
Sylvie Aubenas, coauteur avec Philippe Comar de Cache-Sexe. Le désaveu du sexe dans l’art, le reconnaît en préambule : « Rassembler un florilège d’œuvres de toutes les époques et de tous les courants de l’art occidental ayant comme point commun la manière inhabituelle, virtuose et parfois comique dont les organes sexuels masculins et féminins sont dissimulés à la vue peut sembler une manière légère, douteuse même de regarder en détail les chefs-d’œuvre de l’art. » L’idée proposée aux Éditions de La Martinière a nécessité de leur part de déployer maints arguments avant d’être retenue. Bien leur en prit tant est réjouissante, instructive, pétrie d’humour et de malice leur analyse menée sur les inventions et conventions visuelles employées et développées par les artistes depuis la fin de l’Antiquité pour contrer, déjouer mais aussi jouer avec l’interdit, la censure exercée sur la représentation de corps dénudés, qu’ils soient peints, dessinés, gravés, sculptés ou photographiés.
Se concentrer sur la feuille de figuier ou de vigne, l’étoffe, le drapé, la fleur, l’épée ou le homard pour dissimuler les parties du péché originel d’Adam et Ève, c’est effectivement éclairer « un angle mort de l’analyse des œuvres par les historiens ».
Illustrations à l’appui, la directrice du département des Estampes et de la Photographie de la Bibliothèque nationale de France et le professeur aux Beaux-Arts (de Paris) dégagent et décortiquent, à la lumière de l’iconographie, l’évolution des procédés utilisés pour couvrir les nudités. Ils mentionnent aussi les rebuffades d’artistes comme Michel-Ange qui, à la demande du pape Paul IV souhaitant voir retouchées les parties honteuses des figures du Jugement dernier, répliqua : « Qu’il commence par retoucher le monde, et les peintures le seront vite. »
À cette vision pudique du sexe véhiculée par l’Occident, le Japon a donné lieu, à revers, du VIIIe au XIXe siècle, à des quantités impressionnantes de shunga [gravures érotiques] présentant sans détour « le sexe et le plaisir sexuel comme une composante saine et naturelle de la vie et de son éducation » avant que l’interdiction officielle de leur production à la fin du XIXe siècle n’en fasse un sujet tabou au pays du Soleil-Levant. Dans L’art érotique japonais. Le monde secret des shunga, Ofer Shagan livre une interprétation éloignée de celle, convenue, qui voit ces « images de printemps » comme des scènes pornographiques, « un concept occidental resté étranger au Japon jusqu’à l’ère Meiji (1868-1912) », rappelle-t-il. Contresens donc que le plus important collectionneur au monde de shunga démonte en revenant, au travers d’un éventail vertigineux de pièces de sa propre collection, sur leurs fonctions dans la société japonaise. Sur ce que ces images révèlent aussi de cette société à la sexualité longtemps libre, de son rapport à la nudité, des relations homme-femme ou des parodies du pouvoir.
Le collectionneur évoque lui-même les limites de son analyse quand il reconnaît ne pas comprendre le texte japonais reproduit dans ces images réalisées sous la forme d’estampes, de peintures ou de livres illustrés. Il n’en demeure pas moins que son ouvrage, d’abord publié au Royaume-Uni par Thames & Hudson en 2013, constitue aux yeux d’Andrew Gerstle, professeur à la faculté de études orientales et africaines de l’université de Londres, qui en signe la préface, un travail de recherche visant à ce que ces pièces du patrimoine culturel sortent du purgatoire dans lequel on les a enfermées au Japon.
Formes, couleurs, sens, hardiesses
La question de l’interprétation est au cœur de l’ouvrage Le Désir et les dieux, avec en particulier la transposition que firent peintres et sculpteurs des récits et figures des mythes antiques depuis l’Antiquité, surtout par les artistes de la Renaissance et de l’époque classique ou néoclassique. Parmi ses auteurs, Yves Bonnefoy, dans un très beau texte de réflexion, revient sur les formes, couleurs, sens, hardiesses et parti pris esthétiques que les artistes les plus importants de ces différentes époques leur ont conféré dans un déploiement de détails, de chairs, de tissus, de regards et de gestes voluptueux sous des cieux plus tourmentés que limpides.
Du couple réunissant Jupiter et Junon à celui formé par Thétis et Pélée, les histoires des dieux retracées dans une autre partie du livre donnent des repères à ceux qui en manqueraient, manière là encore de permettre de décoder, lever le voile sur ce qui se joue dans un tableau de Corrège, Rembrandt, Poussin, du Titien ou d’Arnold Böcklin.
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Le sexe dans tous ses états
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Abonnez-vous dès 1 €Cache-Sexe. Le désaveu du sexe dans l’art, Sylvie Aubenas, Philippe Cormar, Éditions de La Martinière, 2014, 240 p., 150 ill., 52 €.
L’art érotique japonais. Le monde secret des shunga, Ofer Shagan, éd. Hazan, 2014, 472 p., 1 000 ill., 45 €.
Le désir et les Dieux, Françoise Frontisi-Ducroux, Yves Bonnefoy, Jérôme Delaplanche, éd. Flammarion, 2014, 256 p., 35 €.
Légendes photos :
Couverture du livre Cache-sexe. Le désaveu du sexe dans l'art
Couverture du livre L'art érotique japonais. Le monde secret des Shunga.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°425 du 12 décembre 2014, avec le titre suivant : Le sexe dans tous ses états