Le développement vertigineux d’Internet et des livres électroniques suscite depuis longtemps une littérature enthousiaste ou critique sur le bouleversement des modes de lecture qu’il entraîne.
Cette révolution a cependant rarement été mise en perspective sur un temps long. C’est donc avec intérêt que l’on se plonge dans l’ouvrage de l’historien américain Anthony Grafton, qui dresse un panorama de la page, de l’Antiquité à aujourd’hui. Hélas ce n’est pas dans ce recueil de textes que le lecteur pourra entrevoir l’avenir de la lecture numérique. Car si l’auteur énumère en introduction quelques considérations sur la page numérique, il tire peu d’enseignement pour le futur des exemples d’ouvrages clés du passé, lesquels sont décrits avec érudition et longuement.
Malgré une traduction parfois approximative, on comprend que les remises en cause de la lecture par le numérique ne sont pas si neuves. Le principal reproche fait au Web est qu’il induit une « lecture zapping », le passage rapide d’une information à une autre ne permettant pas l’approfondissement d’un sujet. Grafton cite des études de cogniticiens affirmant que, contrairement à la lecture d’un livre imprimé, où le « contenu du texte est transféré d’une manière lente et régulière vers sa mémoire à court terme, d’où il passe dans sa mémoire à long terme », la lecture sur écran ne facilite pas la mémorisation. L’internaute est en effet distrait par l’encombrement de la page électronique et les outils de navigation. Mais Grafton s’empresse de rappeler que de nombreux magazines illustrés offrent depuis longtemps une lecture zapping. Et, en réponse à la faible mémorisation d’un texte électronique, il cite, sans l’expliciter, la célèbre critique de l’écrit de Platon qui, dans le mythe de Theuth, montre que l’écriture n’est pas source de mémoire et de savoir mais au contraire facteur d’oubli. Elle permet la remémoration mais pas la maîtrise d’un savoir. Au lecteur d’en déduire que, de même que l’écriture n’a pas empêché le développement des connaissances, le numérique ne freine pas la pensée. Au fond, ce que ne dit pas Grafton, c’est que tout support nécessite un effort que le lecteur est plus ou moins prêt à consentir selon sa capacité ou son état d’esprit du moment.
La comparaison par la page
L’essentiel de cet essai, constitué de descriptions d’ouvrages majeurs (illustrés en annexe), analyse l’interaction entre la forme et le fond. Le passage du rouleau de papyrus au codex dans l’Empire romain au cours du Ier siècle est ainsi, d’après l’auteur, plus important que le passage du manuscrit à l’imprimerie. Outre sa maniabilité, le codex introduit la notion de « page ». La page permet de présenter des textes en colonne et ainsi d’effectuer des comparaisons, auxquelles les exégètes des différentes versions de la Bible se sont livrés. Plus tard, au IIIe siècle, la Chronique d’Eusèbe, évêque de Césarée (Palestine) établit une histoire universelle synchronique, en mettant en regard les événements survenus simultanément dans des empires distincts grâce à un système de table. Elle fera référence jusqu’à Charlemagne.
Un point commun aux ouvrages cités : il s’agit de compilations de textes antérieurs. C’est avec le Dictionnaire historique et critique de Pierre Bayle (XVIIIe) que la mention systématique des sources, au bas de la notice, sépare selon Grafton le monde antique du monde moderne. Elle est à la fois la reconnaissance du travail des précédents auteurs et la possibilité pour le lecteur de reconnaître l’apport original de l’auteur et de se référer à ses emprunts. Le lecteur pourra s’interroger lui-même ici sur la spécificité ou non du Web en la matière. Alors que certains textes à prétention encyclopédique s’efforcent de mentionner leurs sources avec parfois un lien vers elles (exemple Wikipédia), d’autres pratiquent allégrement le copier-coller anonyme.
Coéd. Hazan / Louvre Éditions (La Chaire du Louvre), juin 2012, 272 pages, 25 euros, ISBN 978-2-7541-0635-1.
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Le papyrus, le codex et l’écran
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°373 du 6 juillet 2012, avec le titre suivant : Le papyrus, le codex et l’écran