Superbe, le catalogue du nouveau Musée Picasso comble les espoirs et assèche les doutes. En dépit de son actualité tempétueuse, l’institution se dote d’un ouvrage remarquable, tout à la fois scientifique, politique et cosmétique. Opportun.
Un musée ne saurait être un grand musée sans un site Internet efficient et un catalogue de ses collections efficace. Question de visibilité et de lisibilité, de prestige et de rayonnement. Tel est – cruel – l’adage : qu’importent les réserves si la vitrine ne brille pas. Aussi les institutions soignent-elles désormais leur façade qui, virtuelle ou réelle, maçonnée ou imprimée, se doit d’être séduisante quand elle était hier encore intimidante. Le sanctuaire a laissé place à l’agora, le mystère à la transparence, la culture au culturel. Ici, tout doit être accessible, dévoilé et désirable. Cinq ans après avoir baissé le rideau, le Musée Picasso ouvre à nouveau ses portes le 25 octobre 2014, non sans avoir logiquement repensé sa devanture. Une devanture d’autant plus observée que la boutique, depuis plusieurs semaines, fait la une des gazettes et affiche un changement de propriétaire. Qu’en est-il, donc, du catalogue de ses collections, cet ouvrage de divulgation censé trahir simultanément un parcours et une perspective, deux mots que semblent fragiliser de récents dénouements ?
Élégance
Le format moyen de l’ouvrage (16,4 x 20 cm) correspond parfaitement au genre du catalogue de musée, qui implique une navigation souple et une manipulation aisée. La première de couverture, dont la couleur varie selon les éditions – magenta, émeraude ou ocre – et dont le revers abrite discrètement le sommaire, est recouverte pour moitié par un bandeau photographique (Picasso dans son atelier de la rue Schœlcher, vers 1915) qui, détaché, deviendra marque-page. Les 551 pages de ce livre broché se déploient de manière limpide. Les premières doubles pages accueillent des détails macroscopiques de peintures qui, en dépit de leur caractère énigmatique, permettent d’approcher le corps de l’œuvre, d’effleurer, in medias res, la subtilité de l’art de Picasso, tout en nuances chromatiques et en effets de matière.
Après un modeste album photographique, le corps de l’ouvrage est articulé en dix séquences chronologiques, systématiquement introduites par une citation du maître, en fausse page. Au petit compendium ouvrant chaque partie succèdent des reproductions, en pleine page, de peintures, dessins ou sculptures attestant la frénésie de l’artiste et son exceptionnelle inventivité. Le livre s’achève par un chapitre consacré à Picasso collectionneur puis, à nouveau, par de vertigineux détails de ses œuvres.
Audace
Les textes, à proprement parler, sont intégrés au cœur de l’ouvrage, en lieu et place du traditionnel cahier iconographique. Judicieux et audacieux, ce choix permet d’inverser les rapports qu’entretiennent les images et les mots, les seconds devenant les étais des premières. De la sorte, les quelque quatre cents reproductions – irréprochables – sont moins des illustrations, stricto sensu, que les protagonistes d’une démonstration volontairement imagée. Les contributions, au nombre de dix et sur quatre-vingt-dix pages, abordent des rivages obligés : l’histoire du musée, les figures de l’artiste, la singularité de la peinture et la production photographique (Anne Baldassari), l’importance de la sculpture, l’inventivité céramique et la collection de Picasso (Virginie Perdrisot), l’œuvre graphique (Emilia Philippot), les livres illustrés (Jeanne-Yvette Sudour) et les archives du maître (Laure Collignon). Assorties d’une belle photographie en noir et blanc du musée, ces études précises et documentées auraient parfois gagné à être moins polluées par des renvois ou diluées par des citations qui, ainsi celle consacrée aux céramiques, éreintent la fluidité de la lecture.
Perplexité
Roboratives, les vingt-sept pages de chronologie ainsi que la liste des ouvrages de référence et des publications du musée concluent substantiellement ces textes et, mieux, cette vision synoptique d’une création qui se distingue pourtant par sa complexité et sa polysémie. Bien que diverses mains aient contribué à sa rédaction, le lecteur, y compris le moins averti, s’étonnera cependant de la place considérable qui revient à l’ancienne directrice du musée, cristallisée par son usage immodéré de la première personne du singulier dans les remerciements, quand le catalogue de musée, par nature, est un genre éminemment collectif.
Assurément, tout catalogue de collection est un instrument de pouvoir et un outil de communication : il donne à voir un fonds, légitime une histoire et organise un récit. Cette parution, dont on ne saurait discuter la pertinence, soulève évidemment quelques questions, à l’heure des remaniements ayant affecté la direction de la prestigieuse institution nationale. Est-elle la hache de guerre que l’on enterre ? Le témoin que l’on passe ? Le témoignage que l’on garde ? Le vestige que l’on efface ? L’avenir le dira.
La Collection du Musée national Picasso, sous la direction d’Anne Baldassari, Flammarion, 551 p., 400 ill., 35 €, disponible à partir du 25 octobre.
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Le dernier Picasso d’Anne Baldassari
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°672 du 1 octobre 2014, avec le titre suivant : Le dernier Picasso d’Anne Baldassari