Cinéma

La peinture, elle, ne ment pas

Par Adrien Gombeaud · L'ŒIL

Le 22 avril 2024 - 470 mots

Le Tableau volé est inspiré d’une histoire vraie et donc, de celle d’un véritable tableau. En 1914, avec ses­ Tournesols, Egon Schiele (1890-1918) offrait une relecture torturée d’une toile mythique de Van Gogh.

On a longtemps cru cette huile, à la fois sensuelle et inquiétante, à jamais disparue dans le maelstrom de la Seconde Guerre mondiale. Puis, au début du XXIe siècle, Thomas Seydoux et Andreas Rumbler, qui œuvraient alors chez Christie’s, ont retrouvé le tableau accroché au mur d’un modeste salon français. À partir de cette découverte, Pascal Bonitzer a tissé une fiction élégante, une réflexion sur l’art, l’argent et la filiation. Les experts reconnaîtront bien Thomas Seydoux derrière le commissaire-priseur André Masson joué par Alex Lutz (son goût pour les montres et les ­voitures). Cependant, le scénario élabore autour de ce tableau volé toute une galerie de personnages et de situations amusantes ou touchantes. Parmi eux, le plus ambigu est une jeune stagiaire jouée par Louise Chevillotte en mythomane qui ne cesse d’inventer et de réinventer son passé.

Des faubourgs de Mulhouse à la salle des ventes

Non seulement le scénario ne joue pas la carte, trop facile, du film de faussaire, mais il inverse astucieusement le code : dans Le Tableau volé, seule la toile ne ment jamais. Imperturbables, ces Tournesols de Schiele survivent aux plus grandes bassesses de l’humanité : la guerre et le nazisme au XXe siècle, la folie de l’argent, l’avidité au début du suivant. Bonitzer filme admirablement le tableau lui-même, star mutique du film, qui va doucement prendre vie. Couvert de traces noires par des années de chauffage au charbon, l’œuvre de Schiele côtoie dans la maison de Mulhouse une cible à fléchettes. Ces Tournesols parviennent à peine à briser la monotonie du vieux papier peint. Puis, au fur et à mesure qu’elle se dirige vers la salle des ventes, la toile retrouve son lustre. Le film évolue vers des teintes plus chaudes pour basculer dans le rouge emblématique de la maison Christie’s (rebaptisée Scottie’s). Le tableau existe donc dans l’écrin que lui offrent ses contemporains. Écrin destiné à augmenter son prix que chacun espère le plus élevé possible. Dans la valeur de l’œuvre, le poids en euros qui dans l’épilogue tombera sous le maillet de l’enchère, se mêlent l’art de Schiele et le savoir-faire du commissaire-priseur, André Masson. Cependant, Pascal Bonitzer a confiance en la force de l’artiste. Si ce « tableau volé » quitte l’anonymat d’un pavillon des faubourgs de Mulhouse pour se jeter dans les bras d’un marché cynique, il change véritablement pour le mieux les destins de ceux qu’il croise dans son aventure. Chacun sortira apaisé de cette rencontre avec le fantôme de Schiele. Dans leur renaissance, ces ­Tournesols ont fait ce que l’art sait faire : ils n’ont pas sauvé l’humanité, mais lui ont apporté juste un peu de beauté.

À voir
« Le Tableau volé, »
de Pascal Bonitzer, avec Alex Lutz, Léa Drucker, Nora Hamzawi, France, 1 h 31. Sortie le 1er mai.
À savoir
Pascal Bonitzer a d’abord été critique aux « Cahiers du Cinéma. » Scénariste, il a écrit pour Jacques Rivette, Barbet Schroeder ou André Téchiné. Comme réalisateur, il est l’auteur de « Rien sur Robert » (1999) et des « Les Envoûtés » (2019). « Le Tableau volé » est son neuvième long-métrage.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°775 du 1 mai 2024, avec le titre suivant : La peinture, elle, ne ment pas

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