L’appareil critique pléthorique de l’œuvre de Pierre Soulages se répète souvent. L’artiste s’est aussi beaucoup exprimé.
Un regard rapide sur Google ou sur Amazon a de quoi désespérer un historien d’art soucieux d’avoir une pensée inédite sur l’œuvre de Pierre Soulages. On peut, il est vrai, se consoler en songeant à la bibliographie démesurée de Pablo Picasso. Les ouvrages sur le peintre français sont légion ; la liste des contributeurs semble interminable. Outre l’apport capital de Pierre Encrevé, mentionnons Alfred Pacquement, Éric de Chassey, Yves-Alain Bois, Camille Morando, Roger-Pierre Turine ou encore Annie Claustres.
On constate d’ailleurs qu’au fil des années cette peinture, adoubée par des personnalités qui n’appartiennent pas forcément au milieu de la critique artistique – Léopold Senghor, Georges Duby, Pierre Nora – a accédé au statut de phénomène culturel.
Il va de soi que l’on peut, à juste titre, attribuer la prolifération des publications sur Pierre Soulages à la qualité exceptionnelle de sa production picturale. Cette œuvre non seulement fascine, mais fait consensus autour d’elle en France et à l’étranger. Peu nombreux, en effet, sont les artistes dont les travaux se voient couronnés par tant de louanges et dont les expositions ont fait le tour du monde. Les très rares critiques – comme celle de Jérôme Serri qui se permet quelques réserves – sont des voix qui prêchent dans le désert.
Au fur et à mesure de ses lectures, on est saisi d’un sentiment étrange, celui de l’impression d’avoir affaire aux mêmes analyses, aux mêmes métaphores, plus ou moins fleuries, aux mêmes hyperboles, bref à une avalanche de redites. La longévité exceptionnelle de Soulages qui en faisait, et de loin, le doyen des créateurs en France, n’était pas sans doute étrangère à cette situation où, d’un catalogue à l’autre, d’un colloque à l’autre, les participants auscultent l’œuvre, maintes fois analysé. Tâche d’autant plus difficile que la peinture de Soulages évolue peu dans le temps. Certes, ses travaux ne sont pas des jalons interchangeables et ses séquences ne se transforment pas en une démonstration d’un enchaînement prévisible, en un puzzle dont toutes les pièces trouvent leur localisation précise. Il n’en reste pas moins que ce parcours suit une logique qui n’échappe pas toujours à une certaine redondance.
La critique fait appel systématiquement aux expressions vaguement poétiques – soleil noir, miracle de lumière sobre, clarté lumineuse, symphonie de couleurs sombres. Pierre Soulages, du reste, n’était pas exempt de ce vocabulaire qui a inspiré ses commentateurs. Il suffit de relire le récit de sa révélation qui fut la source des célèbres tableaux « outrenoirs », un terme qui frôle le mysticisme. Pourtant, à l’instar de Paul Cézanne, le maître refusait de participer au festival interprétatif qui célébrait son œuvre et déclarait que seul comptait le choc émotif face à cette peinture. En disant cela, Soulages s’inscrivait dans une tradition du geste artistique qui s’adresse au spectateur sans médiation. Croyait-il vraiment à la possibilité de cette forme de transmission qui se passe de tout intermédiaire ? Sans doute pas, car comment comprendre les nombreux entretiens qu’il accordait ou encore les textes qu’il a écrits lui-même ?
Manifestement, même et peut-être surtout, les grands artistes n’échappent pas aux contradictions.
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La fortune critique de Soulages
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°598 du 4 novembre 2022, avec le titre suivant : La fortune critique de Soulages