En récompensant des films engagés, le 67e festival du film de Berlin a fait le choix de soutenir le courage politique des artistes.
BERLIN - L’art et la politique sont toujours des thèmes majeurs de la Berlinale, mais rarement auparavant ces deux thèmes ont-ils été aussi intrinsèquement liés. Alors que le directeur du festival Dieter Kosslick évoque « un spectre [qui] hante l’Europe », la ministre de la Culture fédérale allemande Monika Grütters s’est réjouie de la « démonstration de la diversité artistique contre le simplisme populiste ». Évoquant le pouvoir de l’art contre le populisme, elle a ajouté : « Ce n’est pas par hasard que cinq films dans le programme principal du festival sont consacrés à des artistes. »
Le jury de la 67e Berlinale était présidé par le réalisateur Paul Verhoeven. L’artiste islandais Olafur Eliasson était également membre de ce jury qui a consacré d’un Ours d’or le film hongrois On Body and Soul, une histoire d’amour improbable qui naît dans un abattoir. Les sections « Compétition » et « Berlinale special » comportaient cinq films consacrés à des artistes, trois à des plasticiens, deux à des musiciens, parmi lesquels Félicité, fiction du réalisateur franco-sénégalais Alain Gomis, qui a reçu un Ours d’argent. Django se penche sur le parcours du musicien manouche Django Reinhardt pendant la Seconde Guerre mondiale.
Biopics, de Beuys à Giacometti
Le documentaire Beuys figurait également en compétition. Le réalisateur Andres Veiel a eu accès à 20 000 photos, 400 heures d’archives vidéo et 300 heures d’archives d’audio, provenant en grande partie du musée berlinois Hamburger Bahnhof, dépositaire des archives de Beuys. De ce travail de titan émerge un portrait fascinant du plasticien allemand Joseph Beuys, raconté par lui-même et par des archives de l’époque. Le documentaire révèle en sus d’un Beuys artiste, un Beuys professeur à l’académie des arts de Düsseldorf, poste duquel il finira par se faire renvoyer. Un Beuys également très engagé en politique puisqu’il participa à la fondation du parti des Verts en Allemagne, avant d’être abandonné par les siens : considéré comme trop polémique, il ne figurera pas sur les listes électorales du parti. Le documentaire montre à quel point le professorat et l’engagement politique étaient un prolongement de son art, un moyen de l’exercer.
Plus décevant, The Final Portrait de Stanley Tucci, présenté hors compétition, met en scène Alberto Giacometti, au faîte de sa gloire, à Paris en 1964. L’artiste propose au critique d’art américain James Lord de poser pour lui ; l’œuvre sera l’ultime portrait peint par Giacometti avant son décès. Stanley Tucci traite le processus de création et la relation modèle-peintre sur le mode de la farce, montrant un Giacometti qui profère jurons sur jurons dès qu’il s’installe devant un chevalet. La réalisation du portrait dans le film n’est finalement qu’un prétexte pour montrer la vie dissolue de l’artiste. Seule la belle performance des acteurs (Geoffrey Rush en Giacometti et Sylvie Testud qui incarne sa femme) vient sauver le film. Autre biopic, le film Maudie livre un portrait émouvant de l’artiste populaire Maud Lewis, souffrant de polyarthrite rhumatoïde juvénile, mais qui peindra tout au long de sa vie malgré son handicap.
Contre vents et marées
Dans les autres sections du festival étaient présentées des œuvres des artistes Yael Bartana, Sharon Lockhart, ainsi qu’un magnifique court-métrage de l’artiste suisse Laurence Bonvin : Avant l’envol examine l’architecture post-coloniale d’Abidjan. Très remarqué, Occidental, le premier long-métrage de l’artiste Neil Beloufa, nommé pour le prix Marcel Duchamp en 2015, livre un huis clos esthétique, tourné entièrement dans son atelier transformé en studio de cinéma, puis reconverti par la suite en centre d’art contemporain éphémère. Le courage politique était très présent dans le documentaire Tania Libre, consacré à Tania Bruguera. L’artiste cubaine y converse avec un psychanalyste pour surmonter les séquelles de son emprisonnement suite à une performance anti-régime.
Enfin, Christo est intervenu devant un parterre de jeunes talents de l’industrie cinématographique. S’il a refusé de s’étendre sur l’abandon de son projet aux États-Unis en protestation contre Trump, il a précisé que toutes ses œuvres étaient éminemment politiques. Il a également évoqué le financement de ses projets : « [feue] Jeanne-Claude et moi sommes les plus grands collectionneurs de nous-mêmes », a-t-il indiqué. La vente de leurs œuvres via une entreprise qu’ils ont créée, il y a plusieurs années, permet une indépendance financière totale, sans sponsor, donation, ni subvention. C’est « la liberté totale », s’est écrié un Christo plus dynamique que jamais à 81 ans.
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La Berlinale célèbre l’audace
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Abonnez-vous dès 1 €Sally Hawkins, Maudie, 2017. © Duncan Deyoung.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°474 du 3 mars 2017, avec le titre suivant : La Berlinale célèbre l’audace