L’universitaire Jean-Yves Tadié regrette que les analyses et découvertes de l’écrivain et ministre aient été, et soient toujours, insuffisamment prises en compte par les historiens de l’art et les conservateurs. Cela alors qu’ André Malraux a bousculé les appréhensions traditionnelles.
Jean-Yves Tadié, professeur émerite à l’université Paris-Sorbonne, a analysé au fil de sa carrière les différents aspects de la pensée d’André Malraux (1901-1976) sur l’art. L’ouvrage André Malraux, histoire d’un regard, que publie Gallimard en novembre, regroupe ses sept préfaces à des œuvres (correspondance, carnets de voyage, écrits farfelus, écrits sur l’art…) de l’essayiste publiées dans la collection « Blanche » et la Bibliothèque de La Pléiade.
Effectivement. Je trouve très injuste que l’on ne s’y réfère guère alors que nombre de discours de Malraux sur l’art et de ses actions pour sa diffusion sont passés dans les mœurs. La confrontation de photographies de sculptures de pays ou d’époque différents va ainsi de soi aujourd’hui, ce qui n’est pas le cas quand il publie La Psychologie de l’art dans sa première version, en 1948. Maintenant nous avons le Musée du quai Branly, mais son intérêt pour toutes les formes d’art, en particulier les arts lointains dans l’espace et dans le temps, se démarque alors de la démarche des grands historiens de l’art de son époque centrée sur leur spécialité, plutôt européenne.
Sur bien des terrains, Malraux a été un véritable découvreur de formes d’art sans que cela soit porté à son crédit. Quand il expose ce qu’il a appelé l’art « gréco-bouddhique » dans les années 1930 à la galerie de la Nouvelle Revue française, peu de gens s’intéressent à l’art de l’Afghanistan. On oublie que l’histoire de l’art à rebours qu’il a développée, en disant que c’est l’art moderne qui permet de redécouvrir l’art ancien et les arts des autres continents, a bousculé les appréhensions traditionnelles. Quand il dit que l’on apprend plus en confrontant une sculpture grecque et une sculpture égyptienne que cent sculptures égyptiennes entre elles, c’est très intéressant, peu de gens le font.
De même Malraux a contribué au lancement des grandes expositions internationales, qui n’existaient alors guère, faisant venir les foules dans des musées où l’on n’était pas plus de vingt. C’était un esprit profondément démocratique qui, à propos de la compréhension par le grand public d’une œuvre, a une parabole que je trouve très profonde. Saint Bernard prêchait la croisade du haut de la colline de Vézelay ; saint Bernard parlait en latin, personne ne pouvait l’entendre car il n’y avait pas de micro et pourtant tout le monde est parti pour la croisade. Il pensait donc qu’il y a toujours quelque chose qui passe même si on ne comprend pas tout.
Parce qu’il y a deux catégories au moins de discours sur l’art, voire trois : celui des historiens de l’art et celui des écrivains d’art, auxquels, peut-être, on doit rajouter celui des conservateurs de musée, plus proches des historiens de l’art que des écrivains d’art. Malraux se classe dans les écrivains d’art, vieille tradition qui remonte à l’Antiquité mais, à la différence de Baudelaire, [Paul] Claudel ou [Paul] Valéry, il a une ambition encyclopédique, il veut parler de tous les arts. Malraux avait une immense culture et une immense mémoire visuelle.
Quand il a été ministre de la Culture notamment, il a entretenu tout un tissu de relations avec les historiens de l’art et les conservateurs de musée qui lui étaient acquis et fidèles, comme André Chastel ou Michel Laclotte. Mais cette génération a disparu avec Malraux, ou n’est plus en activité. Elle a été remplacée par d’autres personnes qui ont réagi contre ses écrits et qui ont commencé à véhiculer des lieux communs dont l’origine émane de certains historiens de l’art pourtant très pointilleux comme Ernst Gombrich. Daniel Arasse dans son livre sur le détail [1992] ne mentionne pas Malraux, alors que, s’il y a bien quelqu’un qui s’y est intéressé, c’est lui. C’est ainsi que toute une génération a commencé progressivement à ne plus s’intéresser à lui.
Très probablement. On lui a beaucoup reproché son engagement politique vis-à-vis du général de Gaulle, comme si cet engagement, cette fidélité, pouvaient nuire à la qualité de ses textes, qui doivent être jugés indépendamment. Le côté « Victor Hugo » de ses écrits, leur lyrisme, le goût des images, la place de la métaphore, ont pu effectivement aussi dissuader. Ils peuvent apparaître d’une autre époque. On est aujourd’hui dans un monde de l’art où l’on n’écrit plus de cette manière. Nous ne sommes pas romantiques.
Yves Bonnefoy et Pascal Quignard. On peut en trouver certainement d’autres mais aucun n’a eu l’ambition qu’avait Malraux.
Absolument. Il n’a pas eu qu’une seule vie mais plusieurs. Il a été non seulement partout mais il a mené aussi des combats dangereux à plusieurs reprises.
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Jean-Yves Tadié : « Les écrits de Malraux sont injustement délaissés »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°555 du 13 novembre 2020, avec le titre suivant : Jean-Yves Tadié, écrivain et biographe : « Les écrits de Malraux sont injustement délaissés »