Jean-Pierre Raynaud : « Il y aura toujours des malentendus et je l’assume »

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 26 août 2015 - 798 mots

L’artiste est le concepteur, l’auteur et le financeur d’un ouvrage qui vient de paraître aux éditions du Regard. Un livre, qui est également édité dans un format « poche », comme un geste de plus.

Posé sur une table, le livre que vient de réaliser Jean-Pierre Raynaud se présente comme un imposant et épais pavé, à la couverture monochrome rouge avec son nom inscrit en blanc, à l’image même d’un panneau de sens interdit. Il en est le concepteur, l’auteur et le financeur exclusif. Un geste de plus qui s’ajoute à tous ceux qu’il a déjà commis mais qui les inclut quasi en totalité.

L’œil : Qu’est-ce qui vous a motivé à faire un tel ouvrage ?
Jean-Pierre Raynaud : Comme tous les artistes, je me pose des questions sur l’art et la société aujourd’hui. J’essaie de faire un état des lieux. J’ai vécu une façon de faire de l’art et de le vivre qui a toujours été de l’articuler par rapport à un projet artistique. Ce livre en est un. Il est très exactement ce que je ne pourrais pas faire dans une exposition.

Quelle méthode avez-vous mise en œuvre pour le réaliser ?
La méthode, c’est d’abord et avant tout d’avoir une liberté totale et absolue. Pour cela, je me suis totalement autofinancé. Je voulais faire quelque chose où ma responsabilité était pleinement engagée. La différence avec les autres livres, c’est que je n’ai même pas besoin de le vendre pour qu’il existe. Au début, je voulais qu’il n’y ait aucune mention sur la couverture, juste le monochrome rouge. C’était un peu un rêve et quand on en a discuté avec mon éditeur [José Alvarez] qui me connaît bien, on s’est accordé pour qu’il n’y ait que le nom de Raynaud sur le plat, simplement accompagné sur la tranche de celui de la maison d’édition. Une rigueur totale.

Comment en avez-vous pensé l’ordonnancement ?
Je n’ai pas voulu faire un livre qui soit un bilan ; du reste, je n’ai pas mis des œuvres spécialement majeures. Ce qui m’intéressait, c’était de faire ressentir l’homogénéité ou bien les contradictions de mon œuvre sur près de cinquante-cinq années de travail. Pour ce faire, j’ai choisi d’accompagner la partie visuelle de quelques phrases courtes. Je tenais à dire certaines choses sans que cela n’alourdisse les images. Sauf une citation de Cioran en exergue, tous les textes sont donc de moi. En quelque sorte, je fais le point. C’est un point d’humeur, certes, mais en même temps, cela me permet de voir comment les choses se sont passées, car j’ai respecté la chronologie…

Ce qui en fait un ouvrage rétrospectif ?
C’est plutôt une piste qui correspond à ma sensibilité et à mon intimité. J’ai osé me livrer un peu plus, et c’est surtout dans les textes que cela transparaît. Certains ont été faits spécialement pour cet ouvrage, d’autres existaient déjà.

Ils sont tous assez courts sauf celui concernant la maison. Quel sens doit-on prêter à cela ?
Le texte sur la maison correspond à celui du film qu’a fait Michelle Porte. C’est le synopsis du film. Elle m’avait alors enregistré lui contant l’aventure de la maison et c’est moi qu’on entend en voix off. Comme il est à la première personne, j’ai trouvé qu’il avait tout à fait sa place dans le livre malgré sa longueur. De toute façon, la maison, c’est pour moi une expérience artistique majeure qui condense la beauté, la violence, mon rapport au monde, ma relation à l’autre.

Ce livre est fait de séquences qui témoignent de la progression du processus suivant lequel vous avez développé votre travail, mais il semble s’agir davantage du processus de la pensée que de la forme…
Peut-être, mais en même temps le développement du livre montre bien l’évolution à travers les matériaux employés, la différence plastique des signes utilisés, l’avènement de la sérialité, la question de la mondialisation, le jeu des références, etc.

À propos de Matisse, vous dites qu’il était « versant Sud » alors que vous, vous êtes « versant Nord ». Que voulez-vous dire par là ?
Matisse est un chantre de la vie, paradoxalement je le suis aussi mais par désespoir. Si j’étais alpiniste, c’est la face nord qui me conviendrait le mieux. C’est souvent pour ces raisons que j’apparais faussement, dans le regard de l’autre, comme froid et rigide.

S’agit-il d’un livre à travers lequel vous avez voulu dire ce qu’a été votre trajectoire ? Pour qu’il n’y ait pas de malentendu, par exemple ?
Si je souligne la part humaine qui est à l’origine de l’œuvre d’art, il y aura toujours des malentendus et je l’assume. Mettre en avant comme dans la peinture les « remords », les doutes, les points de fracture, le mal-être ou les conquêtes permet d’accéder en partie à la naissance d’un projet. Pour certains, cela paraîtra impudique et pour d’autres comme l’essence de toute œuvre.

Jean-Pierre Raynaud, Raynaud, Éditions du Regard, 320 p., 200 ill., 80 €. L’ouvrage existe aussi dans une version « poche » à 18 €.

Légende Photo :
Jean-Pierre Raynaud à Pékin,en mai 2015.© Jean-Pierre Raynaud.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°682 du 1 septembre 2015, avec le titre suivant : Jean-Pierre Raynaud : Il y aura toujours des malentendus et je l’assume

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